Deux notions fondamentales méritent d’être distinguées pour comprendre les débats du temps et les périls liés à la montée des mouvements d’extrême-droite : la démocratie d’une part, les droits de l’homme d’autre part.
Ces deux notions ne sont pas synonymes et lorsqu’elles se dissocient, les malheurs s’abattent sur les peuples.
Partons des faits :
Tout pouvoir corrompt et qu’il soit libéral ou tenant de l’ordre absolu, tout homme qui le détient en abusera.
L’unique moyen de pallier à cette corruption, aux abus et aux crimes d’état consiste à séparer les pouvoirs et en particulier à assurer l’indépendance de la justice, institution qui a la charge de porter le nom d’une vertu.
Tout régime totalitaire s’attaque à cette indépendance et entend mettre les tribunaux aux ordres du chef et de son parti qui tend à fusionner le législatif, l’exécutif et le judiciaire.
La garantie offerte par la justice tient d’avantage aux protections institutionnelles qu’aux vertus des juges qui, pour être les gardiens des droits de l’homme, doivent être indépendants.
Ainsi en 1940 dans la France vaincue, parce que les juges sont des humains comme les autres, ils prêtèrent un serment de fidélité au maréchal PETAIN, à l’exception d’un seul, Paul DIDIER.
Les diverses variantes du fascisme valorise le peuple conçu comme une entité, un souverain absolu échappant à tout contrôle par les cours suprêmes.
Tous les régimes d’extrême-droite s’attaquent à l’indépendance de la justice.
Ce n’est pas un détail mais la clé de voûte du totalitarisme.
Le peuple souverain est-il au-dessus des droits de l’homme ?
Le peuple italien approuva durant deux décennies les violences du régime de MUSSOLINI et les nazis prirent le pouvoir le 30 janvier 1933 à l’issue d’élections démocratiques. Le peuple allemand approuva par plusieurs référendums la dictature hitlérienne, comme le peuple français avait approuvé le coup d’état du 2 décembre 1851.
C’est que le peuple, comme tout souverain, peut devenir arbitraire, fanatique, criminel.
Une majorité peut, par égarement ou incompréhension de la complexité du monde, opter pour la privation des droits élémentaires d’une minorité.
La majorité n’a pas toujours raison lorsque les passions, l’ignorance, la haine et la peur troublent les esprits.
Cette constatation historique fit que beaucoup ont pu penser que la démocratie était le pire des systèmes, excepté tous les autres.
Ainsi, les régimes politiques criminels du siècle passé, ceux qui accomplirent des abominations insondables avaient eu des assises parfaitement populaires, avant que le crime retombe sur le malheureux peuple coupable d’égarements.
Après la seconde guerre mondiale, les juristes et les dirigeants politiques issus de la Libération conçurent des garde-fous pour éviter les retours des errements, fussent-ils démocratiques.
Pour pallier aux périls, les états élaborèrent des conventions supra-nationales garantissant les droits de l’homme : pacte international de New-York des droits civils, convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Des comités et une cour européenne des droits de l’homme étaient institués pour juger les atteintes aux droits protégés par ces conventions, droits fondamentaux au nombre desquels on trouve : le droit de ne pas être torturé, de ne pas être mis à mort, le droit d’accéder à un juge indépendant, le droit de mener une vie privée et familiale libre, la liberté d’expression, la liberté d’association, la garantie du droit sur ses biens.
Un état, une majorité de circonstance, un parlement dominé par des forces contraires aux droits humains ne peuvent pas déroger aux prescriptions de la convention dotée d’une valeur juridique supérieure aux lois, une convention que le juge doit appliquer au besoin contre une loi violant ces principes fondamentaux.
Or, les variantes du fascisme conchient les droits de l’homme et leur substituent la volonté du peuple, c’est-à-dire d’une partie du peuple car ils essentialisent le peuple en l’expurgeant des mauvais éléments.
L’esprit fascisant se rencontre parfois chez des gouvernants non inscrits dans une démarche globalement totalitaire.
Exemple concret : des commandos d’agriculteurs détruisent un édifice public, agressent des agents de l’Office Français de la Biodiversité ou des militants écologistes.
Ils sont le « Peuple » et le ministre de l’intérieur tourne la tête et n’a rien vu.
Inversement, des protecteurs de la nature manifestent contre des méga-bassines ou une autoroute, ils ne sont pas le Peuple mais des marginaux, trublions et quasi-terroristes.
Un tel raisonnement est typiquement fascisant en son principe : d’un côté, les gens biens qui peuvent se lâcher, de l’autre les terroristes qu’il faut réprimer.
Qu’est-ce qui sépare cette dérive fascisante d’un gouvernant occasionnel d’une démocratie libérale (le macronisme) et un régime d’extrême-droite ?
Ceci :
Le régime ouvertement autoritaire supprime le recours au juge impartial et indépendant.
La justice doit devenir, ce qu’elle n’est pas en démocratie libérale, un instrument de sa répression des « marginaux » et des contestataires.
Le régime d’extrême-droite refuse la compétence de la cour européenne des droits de l’homme et met au pas les juridictions internes, comme le font tous les régimes de même nature dans lesquels les opposants se trouvent systématiquement condamnés à l’avance.
Plus concrètement encore, pour souligner la différence et faire comprendre la rupture radicale :
En Macronie, les lobbies tiennent l’état. Le président et son ministre de l’intérieur prononcent la dissolution des Soulèvements de la Terre au mépris de la probité.
Mais il existe un conseil d’état impartial pour annuler le décret de dissolution.
Dans un régime fascisant, il n’y a plus de recours effectif.
Il n’y a plus de « république des juges » et le Peuple, c’est-à-dire la fraction qui bénéficie de ce qualificatif par le pouvoir, peut tout y compris piétiner les principes fondamentaux, asservir les minorités, bafouer la liberté de pensée et d’expression.
Les variantes du fascisme sont des césarismes démocratiques : un chef et une population soumise et majoritairement consentante.
Pour les fascistes, il y a un bon Peuple et un anti-peuple ramassis de rouges, de gauchistes, de terroristes, de voyous, d’animalistes qu’il faut réprimer.
Face à l’état autoritaire, pour défendre les droits de l’homme et les libertés publiques, les partis, les syndicats, les associations doivent s’unir par-delà les ridicules querelles d’égos, les inimitiés, les insuffisances, les nuances.
Bref, il convient de retrouver l’esprit de la Résistance, non pas pour exercer ce que souhaitent les fascistes - des violences - mais pour expliquer, alerter, informer les citoyens sur les périls.
J’admets que ce que j’explique ici, par sa complexité, ne sera guère présent à l’esprit des électeurs, mais mon devoir éthique est de le dire.
Gérard CHAROLLOIS