Alors que dans notre écrin de verdure qu'est le haut Périgord chacun s'inquiète des dégâts occasionnés par le gel de cet hiver, que l'on guette les repousses timides, petites tiges fragiles, promesses de nouvelles branches, que l'on constate la mort des mimosas, des eucalyptus, des oliviers, je viens de recevoir au courrier une mise en demeure de la part de mon voisin pour faire élaguer mes chênes dont les frondaisons dépassent sur son pré.
Il y a, hélas, dans le code civil, un article n°673 qui stipule qu'on peut contraindre son voisin à faire élaguer "tout" ce qui dépasse la clôture mitoyenne. Il n'y a pas de dérogation, pas de prescription par rapport à l'âge ou à la qualité des arbres.
Ainsi, un arbre remarquable, trois fois centenaire, n'aura pas plus de chance d'échapper à une telle mutilation qu'un arbrisseau de l'année...
Mon voisin s'est installé alors que les arbres étaient déjà là, sa maison est à cent mètres du premier, il n'y a ni fil électrique, ni bâtiment à proximité, et ses propres poneys viennent régulièrement se reposer à l'ombre bienfaisante, ou s'abriter quand il pleut.
Ces chênes sont magnifiques, ils forment une boule parfaite, bourdonnent d'insectes, sont un havre de paix, ils ont grandi avec mes enfants, caché des cabanes, consolé des chagrins, abrité à leurs pieds les sépultures de nos petits compagnons : chats, oiseaux, hérissons...
Un renard vient souvent manger le pain et le miel que je laisse à son intention.
Les regarder m'arrache l'âme quand je pense qu'à l'automne, suite à un caprice ou un mouvement d'humeur d'un voisin irascible, une tronçonneuse va les mutiler par moitié, et sans nul doute, les faire mourir. Je ne peux le supporter, alors même que j'ai lancé une pétition contre la déforestation de notre région et que je ne peux vivre sans arbre autour de moi...
Est-ce en réaction à mes petits panneaux "Faune et Flore préservées" que ce voisin a réagi ? Lui qui utilise du désherbant jusqu'à faire tout crever à un mètre à l'intérieur de ma propriété ? Lui qui ne supporte pas les oiseaux dans les branches et qui les effarouche le soir à grand renfort de coups de feu ou de bruits violents ? Lui qui pollue la source souterraine de notre puits par un épandage "sauvage" des eaux usées, lui qui tond à ras le pré où broutent ses poneys ?
Que font ces gens à la campagne qui ne supportent ni les feuilles d'automne dans la pelouse, ni l'herbe haute, ni les oiseaux ?
Ce qui me peine le plus, c'est que le code civil puisse donner raison à ce genre d'individu, qu'il puisse être dans son droit et moi, dans l'illégalité.
Il y a quand même, dans notre système, des choses anormales.
Il se peut que d'ici quelques mois, je devienne une hors la loi, pour éviter que ne meurent mes chênes, la prunelle de mes yeux.
Françoise TSOUKAS - Le Bourg - 24360 CHAMPNIERS ET REILHAC