En Grande-Bretagne, le peuple a voté, la semaine passée, pour la City, contre le peuple.
Le fait paradoxal n’a rien d’inédit.
Les peuples votent ainsi fréquemment pour l’injustice sociale, pour la loi de la finance, pour le Marché qui détruit la nature, pour l’ouverture de champs de pétrole en zone polaire, pour le bétonnage des côtes en faveur de l’industrie du tourisme, pour le développement des filières de la viande, pour les licenciements boursiers, pour l’aggravation des écarts entre la masse des citoyens et une infime minorité d’oligarques qui, loin d’être une élite, représente ce que la société sécrète de plus crapuleux, de moins altruiste, de plus cynique.
Les peuples votent pour SHELL, MONSANTO, BAYER, VINCI et autres pieuvres tentaculaires plus puissantes, plus riches, plus omnipotentes que les Etats.
En France, le parti de la finance, cet ennemi de l’arbre, de l’animal et de l’homme, recueille un pourcentage considérable de suffrages de braves gens dupés qui auraient tout à redouter de sa férocité.
Le peuple est contre le peuple et ne discerne plus les périls dont il sait qu’ils existent sans parvenir à les identifier.
Le salarié modeste et précarisé du secteur privé incrimine le salarié pauvre du secteur public. L’un et l’autre accablent le demandeur d’emploi qui vouera aux gémonies l’attributaire du revenu de solidarité, tous vitupérant que les autres sont des privilégiés, des parasites, des assistés sans lesquels tout irait tellement mieux.
Un bon coup de bâton sur le miséreux de l’autre galère sociale règlerait les problèmes.
Il suffit d’autoriser les licenciements, dégraisser le code du travail, supprimer les emplois publics, le salaire minimum ainsi que les aides sociales, les indemnités chômage et le monde sera beau !
Figurez-vous qu’une étude d’opinion révèle que ces idées nauséabondes, moralement abjectes, économiquement fausses, gangrènent le corps social.
Pourquoi ?
Parce que les oligarques possèdent les chaînes de télévisions et la plupart des journaux et qu’ils n’ont pas investi dans la presse audio-visuelle et écrite pour jouer aux journalistes.
Or, le système économique assassine la nature, sous couverts de perpétuels aménagements, et érige notre époque en ce que d’aucuns ont appelé, « le poubellien supérieur ».
Le système économique parle de « liberté », mais la seule qui l’intéresse est celle de s’enrichir, de spéculer, de croître, selon d’ailleurs le contre-modèle chinois, dictature sinistre dans l’ordre politique et acceptation de la loi tout aussi sinistre du Marché.
Démocrates, libéraux dans le champ de la pensée et des mœurs nos tenants du système ?
Il n’en est rien.
S’il advenait que, par impossible, un peuple échappe au contrôle psychique mis en place par les médias aux mains des forces d’argent, si par accident improbable un tel peuple percevait que le petit fonctionnaire, le salarié vulnérable, le chômeur, l'handicapé physique ou mental ou social assisté ne sont pour rien dans les crises multiformes du temps, si un tel peuple cessait d’élire les zélateurs du Marché, il comprendrait que la démocratie n’est qu’un leurre et que le système a été verrouillé.
En effet, les tenants du libéralisme économique ont inscrit dans des traités internationaux leurs dogmes supérieurs aux lois et règlements.
La Banque Centrale Européenne peut se moquer de ce que décident les peuples. Elle est indépendante.
Mais, a-t-on expliqué de qui ?
Indépendante par rapport à quel pouvoir ?
L’indépendance est a priori une vertu. En l’espèce, c’est du peuple naguère souverain que l’argent a acquis son indépendance pour servir une religion funeste comme toutes les autres.
Les adorateurs du Marché vont plus loin et entendent que les contraintes budgétaires soient inscrites dans les Constitutions ce qui les mettraient à l’abri des accidents électoraux.
L’économie, le marché, la finance s’affranchissent des souverainetés populaires et démocratiques.
L’économie est la nouvelle tyrannie mondialisée.
Bien sûr, elle pille les ressources, transforment les animaux en marchandises au profit des filières, pollue les océans et la terre, déménage la biodiversité et avec une efficacité redoutable putréfie la conscience humaine intoxiquée par le culte de l’argent.
Les commentateurs officiels, invités dans les médias, dissertent sur la panne de la croissance, parfois sur la crise environnementale et climatique. Ils taisent un naufrage plus grand encore : celui d’une humanité malade.
Toxicomanies à grande échelle, retour du religieux et de l’ésotérisme délirant, instabilité, inaptitude à la concentration sont les signes d’une détérioration psychique massive de pans entiers de la population contemporaine.
Aux USA, à la pointe de ce naufrage, des études révéleraient une baisse du quotient intellectuel moyen.
Serait-ce un processus d’auto-régulation, une manifestation complexe de « sélection naturelle » ?
L’étiologie reste à identifier mais la pathologie s’impose à tout observateur confronté aux faits sociaux.
De plus en plus, nous constatons, surtout dans la jeunesse, une dérive comportementale, fruit d’une souffrance psychique.
Revenons au système désormais planétaire.
Pour faire de l’argent il faut produire toujours davantage, développer, asphalter, urbaniser, croître et multiplier, déplacer des masses immenses de touristes dont la seule présence anéantit les milieux naturels du fait des infrastructures de transports, d’hébergements et de loisirs grégaires.
Face à cette course à la mort, car le libéralisme économique est thanatophile, je ne propose pas un retour à un passé qui n’eut rien d’idyllique.
Je n’aspire pas à un ascétisme déprimant, mais invite, d’une part, à une réflexion sur les conséquences de nos actes individuels et collectifs, d’autre part, à œuvrer pour une société de prospérité sans gaspillage, une société non de sobriété triste mais de responsabilité envers le vivant.
Quelle économie ?
Après l’échec entériné du système soviétique et celui en cours du système dit « libéral », échec masqué par le conditionnement, il convient d’adopter une autre voie.
Une économie mixte, la seule qui a réussi, alliant une part d’initiative individuelle et la nécessité d’une règlementation protectrice de la nature et des hommes à l’encontre des appétits insatiables répond au défi du temps.
Si la liberté est l’impératif premier dans l’ordre de la pensée et des modes de vies, n’oublions pas la sagesse d’un LACORDERE qui, au 19ème siècle, énonçait :
« entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère ».
Rendons au peuple souverain, à la démocratie, à l’intérêt général le pouvoir sur l’économie, sur la main invisible mais bien sale du marché.
Rendons aux hommes un autre horizon que celui de la quête jamais assouvie de leur cupidité.
Gérard CHAROLLOIS