Quand le lion mange la gazelle

Mi-amusé, mi-consterné, je lis sous la plume d’un antispéciste qu’il conviendrait d’intervenir, nous les hommes, à l’encontre de la prédation de la gazelle ou du zèbre par les lions.
Que cet esprit compatissant se rassure.
En 2050, la population humaine de l’Afrique aura doublé et les lions auront sans doute disparu.
Mais la question soulevée par notre essayiste animaliste hostile à la prédation « naturelle » mérite un examen puisqu’elle est posée.Le lion dévore la gazelle, le tigre l’antilope, le loup le chevreuil, le renard et la hulotte le mulot. Ne doutons pas que la proie sous la dent, la griffe ou la serre souffre.
Or, pour nous, hédonistes altruistes, la souffrance est un mal.
C’est pour la combattre que nous aspirons à une société équitable, non-violente, sans chasse, sans corrida, sans acte de cruauté à l’encontre de tout être sensible dont l’intérêt à vivre est pris en considération.
Alors que faire de la prédation ?
Observons, partant comme toujours des faits, que plus de la moitié des espèces peuplant la terre sont prédatrices : certes, le lion, peu goûté de notre essayiste, mais la fouine, la martre,le putois, le blaireau, l’épervier, le merle et l’hirondelle consommatrice d’insectes ne sont pas végétariens.
Que dire du chat, omniprésent auprès de l’homme, grand tueur d’oiseaux, de rongeurs, de lézards ou de chauves-souris !
Non, le lion et le loup, l’ours et le lynx ne sont pas les seuls prédateurs.
Comme me le disait le regretté Théodore MONOD : « lorsque dieu créa le tigre, il ne me demanda pas mon avis » (oui, Théodore croyait au ciel, mais les différences d’opinions sont des chances et des occasions d’enrichissement de l’esprit).
Pour s’en tenir aux faits, avant d’apporter une réponse éthique à la question soulevée, n’oublions pas que si la gazelle, le zèbre, le chevreuil, le lapin, le rat, le ver de terre victimes d’une prédation n’avaient pas connu la malchance de rencontrer le lion, le loup, le renard ou le baireau, le merle ou la chouette, ils seraient morts, un jour, de maladie, de faim, d’une mauvaise blessure en connaissant des souffrances inadmissibles d’un point de vue moral.
Dans la nature, avec ou sans prédateur, malheur à l’animal devenu vieux, vulnérable, malade.
Outre que pour supprimer la prédation, il faudrait anéantir plus de la moitié des espèces vivantes, cette éradication ne supprimerait ni la souffrance, ni la mort.
Je ne ferai que mentionner les déséquilibres des populations que créerait la disparition des prédateurs naturels.
Pour notre essayiste ennemi des lions, les espèces ne comptent pour rien et seul l’individu doit être pris en considération.
Ce raisonnement oublie que l’individu, qu'il soit ours, loup, lapin ou humain n’existe que parce qu’il y a encore une espèce correspondante.
Sauvegardons les prédateurs puisqu’ils existent et que la nature ne nous a pas demandé notre avis en les faisant apparaître et en les rendant nécessaires.
La problématique ne tient pas à la prédation mais à la souffrance et à la mort dont la prédation n’est jamais qu’une variante.
Sans prédation, la souffrance et la mort perdurent puisque la « proie » qui échapperait à son agresseur connaîtrait les affres du vieillissement et de la maladie pas moins cruels.
Lorsque le chat tue le petit oiseau, lorsque le loup attaque le mouton, lorsque la chouette effraie capture la souris, ces prédateurs ne se posent pas de questions éthiques.
Ils ignorent même qu’ils font souffrir et ne font que manger selon les exigences de leur physiologie.
L’univers n’est pas éthique.
Le propre de l’homme n’est pas le rire, connu du singe et du rat, ni l’intelligence, présente chez les autres animaux, ni la capacité d’éprouver le principe du plaisir/déplaisir qui fonde le droit à ne pas être maltraité, mais la faculté d’accéder à une norme éthique élaborée.
Être humain, c’est être accessible à une éthique comportementale excluant la souffrance et la mort pour autrui.
Le processus d’hominisation n’est pas parachevé puisque le chasseur, le tortionnaire d’humains ou d’animaux ne sont pas parvenus à ce degré culturel du respect de la vie et de l’amour de la nature.
Notre capacité à nous indigner face à la souffrance et à la mort fait de nous des humains et sans cette capacité, l’homme n’est qu’une calamité bien plus redoutable et coupable que tous les prédateurs naturels qui eux n’ont pas le choix.

Gérard CHAROLLOIS

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