Selon un lieu commun, l’Histoire s’est faite à coups d’épées.
L’homme est un primate querelleur, dominateur, occasionnellement cruel envers ses semblables et les autres animaux.
La guerre, la chasse, ersatz de guerre en temps de paix, les violences conjugales dont furent victimes si souvent les femmes et les enfants témoignent de cette tare de l’espèce.
Trop d’humains aiment les armes, instruments de mort, les récits guerriers, les grands frissons générés par le spectacle des affrontements et des sévices.
Cependant, je n’en resterai pas à cette constatation déprimante et je me refuse à une résignation morose consistant à abandonner l’humain à son vice destructeur.
Tout n’est pas perdu.
Nos sociétés deviennent de plus en plus intolérantes à la violence, qu'elle soit militaire ou domestique.
Le 20 août 1914, jour le plus meurtrier de l’Histoire de France, 22 000 jeunes Français tombaient, en 24 heures, sur les champs de bataille de Belgique et le pays supporta cette saignée barbare.
Aujourd’hui, si un soldat tombe en Afrique par la main d’un djihadiste, le chef de l’Etat se déplace pour accueillir son cercueil et l’opinion publique s’émeut.
Les agressions sexistes, les femmes molestées par leurs compagnons font l’objet d’une attention, toute nouvelle et combien légitime, de la part de l’opinion publique et des autorités.
Or, ces violences étaient naguère banalisées et très rarement réprimées.
Si le concept de progrès possède un sens, je l’utiliserais en présence de ces évolutions de fond des mentalités.
Le vrai progrès est celui du respect de la vie, de l’intégrité, de la liberté d’autrui.
Mourir dans une juste guerre ou sous les coups d’un amant pervers relève de la barbarie, d’un défaut d’hominisation, d’un abaissement qui, moralement, dégrade l’homme bien au-dessous de la dignité des autres espèces vivantes.
Je dis progrès et aussitôt une inquiétude m’habite.
Car, le progrès se veut linéaire et suppose une marche vers un horizon plus radieux, vers cette perspective qu’aujourd’hui est mieux qu’hier et moins bien que demain.
Or, rien n’est jamais acquis et la nature intrinsèque de l’animal humain, volontiers cruel et cupide, peut réveiller des pulsions thanatophiles.
Comment pourrait-on revivre ces crimes du passé, fruits amers d’idéologies mortifères ?
Le mercredi 7 janvier 2015, mes amis de CHARLIE-HEBDO furent assassinés pour avoir déféré au devoir de blasphème que doit accomplir tout homme libre, tout insoumis, tout réfractaire à l’abrutissement des mythes et des superstitions. Ils n’avaient fait qu’user de crayons, sans haine, sans appel à la violence, mais on ne choisit pas ses ennemis, ce sont eux qui nous choisissent comme ennemis.
Des fous de dieu ont déclaré la guerre. C’est un fait sanglant.
Le pacifisme n’est pas la lâcheté et on ne peut que répondre à cette violence cruelle et absurde par une violence.
Globalement, les gouvernements adoptèrent les mesures militaires et policières appropriées, tout en commettant une autre erreur que je dois expliciter.
Combattre hier le nazisme, aujourd’hui le djihadisme, autre totalitarisme criminel, ne saurait conduire à restreindre les libertés publiques au nom d’une sécurité indiscriminée.
Pour être plus précis, je pense que les mesures d’ordre visant l’ennemi doivent être circonscrites à la guerre et non étendues à l’ensemble de la société.
Sous prétexte de prévenir et de réprimer le terrorisme, l’Etat ne doit pas banaliser les écoutes téléphoniques, les perquisitions préventives, les assignations à résidence de syndicalistes, de militants politiques de gauche, de droite ou d’écologie, citoyens étrangers à la guerre en cours.
Le piège actuel tient à ce que le législateur édicte des lois de sécurité susceptibles de frapper toute personne en rupture avec l’ordre établi et nullement terroriste.
L’état d’urgence a été ainsi détourné de sa seule raison d’être, notamment à l’encontre d’écologistes lors de la conférence de PARIS sur le climat.
Messieurs les gouvernants, faites la guerre à ceux qui tuent, mais ne profitez pas de ce conflit pour limiter la liberté.
Si la sécurité devait se payer au prix d’une régression des droits et garanties fondamentales, les ennemis de la liberté auraient gagné, à défaut de 66 vierges dans leurs paradis, un retour vers le passé. La vie et la liberté individuelle méritent une défense vigilante.
La répudiation de la violence ne suffira pas à sauver une civilisation fragile et menacée, mais elle offre l’espoir de temps plus empathiques.
Gérard CHAROLLOIS