A l’heure où le choc des civilisations revêt des formes sanglantes, où des masses humaines innombrables sombrent dans les brumes de la religion avec sa haine du corps, de la sexualité, de la femme, de la liberté, de la vie, de la raison, il apparaît nécessaire d’assumer des valeurs universelles, antidotes à l’obscurantisme.
Allant à contre-courant de l’esprit du temps, il faut penser Europe.
Victor HUGO, rêvant déjà des Etats-Unis d’Europe, dans son exil Anglo-normand, planta, dans son jardin, un chêne en l’honneur de cette fédération.
L’horreur des guerres civiles européennes du XXème siècle conduisit des hommes politiques à bâtir l’ébauche de cet état supranational qui, bien évidemment, était, pour eux, un état Franco-Allemand.
L’idée germait dans le terreau du pacifisme, de l’amitié entre des peuples de langues différentes mais de culture similaires, des peuples aspirant à la démocratie, aux droits de l’homme, au pluralisme des idéologies et à la liberté pour chacun de vivre selon les prescriptions de sa conscience.
Belle et grande idée qui se naufrage présentement sous les coups des mutations de notre société déboussolée.
Oui, les pères de l’Europe avaient raison d’unir des populations qui s’étaient trop cruellement battues et qui ensemble avaient à affronter les défis de leur avenir commun.
Toutefois, ils commirent une erreur qui pourrait bien être fatale à leur généreux et indispensable projet.
Ils lièrent l’esquisse d’état européen dans la veine du libéralisme économique, du Marché, de la concurrence, de la privatisation.
Bref, ils confondirent la construction d’une entité politique nouvelle et un contenu doctrinal, soumettant les peuples aux dogmes du « moins d’Etat », de la course à la défiscalisation, générant une régression sociale qui a deux visages : le chômage et, pire encore, le servage sous forme de salariat précarisé et paupérisé.
Cette orientation devait entraîner l’échec de l’adoption d’une constitution de l’Etat européen, par rejet du référendum de ratification par la France, le 29 juin 2005.
Soulignons une singulière incohérence de peuples qui, à très juste titre, font grief à la Commission Européenne de célébrer le culte de la déréglementation et de la privatisation et qui votent massivement pour les partis politiques pratiquant le même culte funeste.
D’ailleurs, si Bruxelles impose une politique « libérale », donc antisociale et souvent anti-écologique, pour mieux défendre les intérêts des firmes et de la finance, c’est que les gouvernements nationaux proposent au parlement européen, qui la valide, une Commission « conservatrice ».
Mais, les élus trouvent dans l’Europe, dont ils désignent les dirigeants, un alibi commode lorsqu’ils veulent « voler les pauvres pour donner aux riches » ou plus exactement pour démanteler les services publics et détricoter les droits sociaux. Ils imputent à l’Europe les choix qu’ils n’ont pas le courage d’assumer.
Or, face aux tensions mondiales, à la puissance des grandes multinationales qui dominent le monde et dont certaines n’hésitent pas à empoisonner la terre pour fourguer leurs pesticides, face au Marché, face aux délires mystiques affectant d’autres peuples, l’Europe doit défendre sa culture, ses valeurs, l’émancipation de la femme, la liberté de la presse, la démocratie représentative, la garantie des droits fondamentaux, la sécurité sociale, la séparation des pouvoirs, ses acquis. Elle doit aller plus loin en proclamant la prévalence du vivant, le respect de l’animal, l’amour de la nature, conquérir ces nouvelles avancées, comme elle inventa, naguère, les droits humains.
Présentement, les peurs, les souffrances sociales, la guerre culturelle que nous a déclaré l’islamisme, incitent les peuples aux replis frileux, derrière d’illusoires frontières.
La construction européenne va connaître une pause et peut-être un recul momentané.
Une phase régressive finit toujours par passer et d’autres gens de mieux devront, dans les décennies à venir, reprendre la marche vers la fusion des peuples européens qui souhaitent une plus étroite union.
Je préconise une Europe à géométrie variable permettant à ceux qui sont prêts à cette avancée à progresser sur la voie du fédéralisme.
N’attendons pas que les 28 Etats constituant l’Union aillent du même pas.
Recherchons des accords au sein de groupes plus restreints, mais aussi mieux déterminés au rapprochement.
Et si les peuples choisissent démocratiquement les forces politiques au service de l’argent, à l’instar des Français en 2017, selon toute vraisemblance, acceptons leur choix désastreux pour eux-mêmes.
Laissons-leur la liberté de choisir, d’un côté, les sacrifices et les efforts, les réformes et la flexibilité, ou, de l’autre côté, le refus de la soumission du vivant aux intérêts de l’économie, une autre politique tournée vers le bien public, l’encadrement des activités afin de garantir les droits de la nature, des animaux et des humains.
N’inscrivons pas dans le marbre des traités que la monnaie doit servir les milieux financiers, que la compétition est l’horizon indépassable, que le profit est le progrès.
Et le nationalisme ?
Aimant trop l’Histoire pour être insensible à la France « telle la madone aux fresques des murs », je comprends l’attachement barrèssien à la terre et aux morts.
Néanmoins, avec l’ère des idéologies, d’autres clivages, d’autres appartenances, d’autres solidarités se substituent à celle de la nation.
Il y a bien des décennies déjà que les hommes sont plus proches de ceux qui pensent à leur unisson qu’ils ne le sont de leurs compatriotes.
Même les nationalistes déclarés préfèrent siéger avec leurs homologues des autres nations qu’avec leurs compatriotes opposés à leurs options.
Pour ma part, très clairement, je préfère un écologiste Italien ou Allemand à un chasseur ou promoteur Français, au même titre que, très légitimement, un réactionnaire du CPNT préfèrera un chasseur étranger à un militant de la cause animale concitoyen.
Le localisme, le souverainisme, le nationalisme cultivent les particularités,les coutumes, les traditions au nom de leur ancienneté ou leur enracinement dans le passé qui est un élément décisif de l’identité.
Corrida, gluaux, lacets contre les animaux, excision des petites filles, lapidation et coups de fouets au blasphémateur participent des « splendeurs des cultures particularistes » !
Je préfère l’universalisme.
Il invite à soumettre les coutumes et les traditions au crible de la raison. Pour moi, le droit doit être universel, et une émancipation ici doit bénéficier partout dans le monde.
Je dénie aux particularismes leur légitimité à contredire ce qu’ont mis au jour la raison, l’intelligence, le travail patient des gens de mieux. Les progrès de la liberté individuelle, les avancées sur la voie du respect du vivant, sitôt établis quelque part, doivent bénéficier à tous et partout.
Pour l’heure, un vent mauvais souffle sur le monde.
L’aigreur des uns, la lâcheté des autres, préparent des lendemains qui déchantent, faute que les défis aient été relevés.
Notre lucidité interdit de se taire, quand bien même notre voix qui n’entre pas dans les cases usuelles se heurte à la censure.
Gérard CHAROLLOIS