12 heures dans la cellule 12... par Delphine Simon, militante anti-corrida ...
Samedi 23 mai à 8h du matin, je suis partie de chez moi pour aller à un rassemblement anticorrida devant les arènes de Nîmes…
Puisque chaque fois que nous déclarons une manifestation, nous sommes tenus à plusieurs centaines de mètres des arènes, loin de tous, invisibles, ce rassemblement pacifique et non violent était simplement un mouvement de citoyens indignés par la barbarie des arènes…
Rendez-vous était donné à des citoyens et par des citoyens devant les arènes.
9h45… ma sœur et moi arrivons sur la place, et nous nous asseyons sur un banc…
D’autres gens étaient autour de nous, certains que nous reconnaissions de loin, d’autres dont nous nous demandions si « ça en était » ou pas…
10h15, alors que nous n’avions même pas eu le temps ni de nous identifier ni même de dire quoi que ce soit, nous avons été entourés par des messieurs au visage fermé, qui tout à coup ont dégainé leur brassard orange "police". Nous voilà cernés, me dis-je… Je nous compte alors : 17 personnes, entourées par 30 policiers…
Et puis un type arrive avec une écharpe tricolore et annonce d’un ton menaçant : « Nous vous demandons de vous disperser sinon nous aurons recours à la force… »
On s’est regardés, interloqués, nous demandant si c’était une plaisanterie… ma sœur et moi assises sur un banc, quelques passants autour, ne sachant trop quoi faire ni quoi dire…. Ne pouvant nous imaginer une seconde ce qui était en train de nous arriver…
Les policiers allaient chercher des gens sur la place, qui devaient avoir des gueules d’anti-corrida, et ils les faisaient rentrer dans le cercle (alors qu’on venait de nous dire de nous disperser !!!???). Nous n’avons pas bougé tout d’abord, le type continuait à menacer dans son mégaphone…. Je me lève pour aller voir le type à l’écharpe et lui demander « Excusez-moi, pourquoi devons nous nous disperser ? » ; « Attroupement … Vous êtes attroupés et vous n’avez pas le droit »… Je retourne à ma place, je regarde la place des arènes… Partout des attroupements d’aficionados (ceux-là, on les reconnaît à leur déguisement grotesque) ; étrange, ces attroupements-là, parfois 10-20 personnes, ne sont pas dispersés par les forces de l’ordre… Il ne faudrait pas qu’ils manquent le spectacle de la torture et de la mise à mort de 6 veaux qui aura lieu dans quelques minutes…
5 minutes, s’étaient passées, 10 peut-être… Je dis à ma sœur d’un air hésitant « On n’a qu’à se lever et marcher sur la place, ça fera moins attroupement… » On se lève, mais un policier nous barre la route « Vous retournez à votre place ! » « Ah, ben faudrait savoir… Je croyais qu’il fallait se disperser…. » « C’est trop tard », dit-le type à l’écharpe ! « Nous allons avoir recours à la force. »
Tout à coup, des camions de gendarmerie, de CRS, 5, 6 , plus peut-être arrivent en trombe ! « Tiens, me dit ma sœur, il doit y avoir quelque chose qui se passe de l’autre côté des arènes ? Une action d’anti-corrida ? »… On lève la tête pour essayer de regarder autour de nous…
Mais non, nous voyons avec effroi deux CRS entourer chacune d’entre nous et nous demander de bien vouloir les suivre, ce que nous faisons sans protester…Nous n’avons pas le choix… 25 citoyens en civil contre 300 détenteurs de la force de l’ordre …
10h36… On nous amène près d’un camion, on prend notre identité, une fiche par personne et on nous amène dans un camion avec 6 petites cages… des portes en fer, avec une petite grille en haut pour l’aération. Je monte dans le camion et j’ai un mouvement de panique (je suis claustro)… Je demande « Vous n’allez pas nous mettre là-dedans ?… S’il vous plaît, je vous en supplie, je ne partirai pas, je suis claustrophobe »… « Vous rentrez »… Je suis rentrée dans la cage, et je me suis mise à étouffer, j’essayais de respirer de l’air par le petit trou de la grille, ma sœur dans la cage à côté me disait « calme toi, respire ! le commissariat n’est pas loin, ça ne sera pas long ! »… Mais ceux qui sont claustrophobes me comprendront, je n’y arrivais pas ;.. Je pleurais je criais, j’ai supplié le gendarme d’ouvrir un peu la porte pour que je respire, que je ne m’enfuirais pas… rien que d’y repenser, j’ai du mal à prendre mon souffle… Ma tête commençait à tourner, j’entendais les voix de ceux qu’on enfermait dans les autres cages… qui essayaient de me rassurer… Je me suis dit que j’allais tomber dans les pommes… J’entendais la voix rassurante de ma sœur « respire Delphine respire, ça va aller »… Alors tout d’un coup un flash…j’ai pensé aux camions d’animaux qu’on conduit à l’abattoir ; eux aussi essayent d’approcher leur museau du grillage pour avoir un peu d’air… la bouche ouverte, les yeux fermés, les doigts à travers ce minuscule grillage, les larmes qui coulaient, j’essayais de respirer normalement pour ne pas avoir un malaise… J’ai pensé à eux… et j’ai pensé aux taureaux.. ceux pourquoi nous étions là… ils m’ont donné la force.
Alors j'ai sorti mon portable et j'ai pris une photo de ce que je voyais par le petit grillage.... ma nouvelle photo de profil....
Arrivées au commissariat on nous a enfin libérées de nos cages… Je me suis dit que le plus dur était passé… Choquées, un peu « groggy », on nous a fait remplir une autre fiche et on nous a signifié que nous étions en garde à vue.
Après les formalités d’usage, on nous a conduits en cellule.
Midi….. La cellule 12… Ouf, j’ai retrouvé ma sœur… Au moins on est ensemble… Une cellule de 3, mais j’étais déjà la 4ème… 5,6,7,8…. Vers 13h, nous étions 17 assis pour certains sur le banc de béton, pour d’autres par terre…
Là, nous avons pu parler…évacuer le stress… On cherchait à comprendre ce qui s’était passé…. Si tout cela était bien légal…
On nous avait enlevé nos montres, mais une des nôtres était passée à travers, alors on lui demandait l’heure…. D’abord toutes les heures puis toutes les demi-heures, puis toutes les 5 minutes….
L’après midi a été rythmée par les entrées et les sorties des camarades, nous allions un par un nous faire prendre les empreintes et nous faire photographier, comme dans les films, avec une petite ardoise avec un numéro… face…profil droit… trois-quarts gauche… Puis chacun notre tour, nous avons été entendus par un officier de police judiciaire…
- Etes-vous venus ce matin à une manifestation ?
- Avez-vous entendu les appels à dispersion ?
- Allez-vous régulièrement aux manifestations de ce type ?
- Quelle était la dernière ?
- Etes-vous anti-corrida ?
Pour les fiches de Monsieur Valls….
Oui, monsieur le premier ministre, je suis anti-corrida, et ça n’est pas près de changer….
Retour en cellule, sorties pipi, conversations à bâtons rompus, malaises de certains camarades… Heureusement les policiers ont été vraiment supers ! Je tiens ici à leur rendre hommage car ils ont permis que notre détention se passe dans les meilleures conditions possibles… Car ce n’est ni le préfet, ni le premier ministre, ni madame la procureure de Nîmes qui devaient gérer les arrivées incessantes des citoyens dans des cellules de garde à vue en trop petit nombre et trop petites… Ce n’est pas eux qui devaient gérer le stress, les besoins, les photos, les empreintes, les auditions et tout le reste… sans effectifs supplémentaire…
Et pourtant en pleine féria, ils auraient eu autre chose à foutre, les policiers, que de s’occuper de nous….
18h…. l’agitation a laissé place à la lassitude, à la fatigue, puis à l’impatience… Rien, aucune information, ou des informations contradictoires que nous avions essayé de glaner auprès des OPJ qui nous auditionnaient….
Sidérés toujours, par ce qui nous était arrivé…Comment était-ce possible ? Qu’avions-nous fait déjà ?
On s’était assis sur un banc….
Vers 21h, on nous a dit que nous allions être libérés… Le temps de faire signer la soixantaine de militants leur notification de fin de garde à vue, ça a été long….
Un policier venait chercher les camarades un par un… Ma sœur et moi sommes restées les dernières dans la cellule 12…
23h07… Enfin la liberté…
Vite, les portables, rassurer la famille, les amis….
Retour aux voitures, retour chacun chez soi, un peu anesthésié par 12 heures de garde à vue…
Douze heures, c’est long… très long…
12 heures dans la cellule 12….
J’ai compris beaucoup de choses aujourd’hui Monsieur Valls, j’ai compris ce que peut ressentir un animal enfermé dans une petite cage sans pouvoir bouger, à peine respirer…
J’ai compris ce que peut ressentir quelqu’un qui est privé de sa liberté et enfermé, alors qu’il n’a rien fait…
J’ai compris que nous vivons dans un pays où l’on protège la tranquillité des tortionnaires en enfermant des citoyens pacifiques…
J’ai compris qu’à Nîmes, la liberté de circulation n’est pas en vigueur…
Mais j’ai compris aussi que quoi qu’il arrive, nous serons là, partout, plus nombreux, plus déterminés, plus soudés que jamais !
Vous ne nous aurez pas Monsieur Valls, vous avez démultiplié notre force ! Alors à très bientôt devant d’autres arènes, car tant que la barbarie des arènes ne sera pas abolie, nous serons là…
DELPHINE SIMON