Cessons de diaboliser le loup !



Article collectif publié dans  "Le Mondedu 16 Décembre 2014

Journalistes, scientifiques, philosophes, ils prennent la défense du grand prédateur en rappelant  son action bénéfique sur les milieux naturels


Rien ne va plus pour les loups, revenus naturellement en France en 1992. Soixante-dix ans après avoir été éradiqués d’un territoire qu’ils habitent depuis des centaines de milliers d’années, ils redeviennent chaque jour un peu plus des cibles. Tel syndicaliste paysan offre 1 000 euros de prime pour la peau d’un animal, tel maire de village promet 2000 euros pour la capture d’un individu. Même les spécialistes s’y mettent ! Les voilà qui mettent l’accent sur la sauvegarde des éleveurs dont la profession serait mise en danger par les attaques du loup sur le cheptel domestique. Selon eux, la fin des bergers signe celle des paysages montagnards diversifiés traditionnels.

Mais la nature domestiquée est-elle l’idéal de la biodiversité ? Les éleveurs « passionnés, inspirés par le respect du vivant » sont opposés de manière naïve à la situation « intenable » créée par le loup, mal suprême qui conduirait à la désertification d’un « patrimoine sinistré ». On oublie en route, très opportunément, les impacts négatifs occasionnés par le pastoralisme, dont les pratiques ont bien changé. En moyenne, les troupeaux sont passés de 200 brebis au milieu du XXe siècle à plus de 500, voire 1 000 à 3 000 de nos jours. Combien de plantes et d’insectes typiques des espaces ouverts traditionnels ont été détruits sous l’assaut de tels troupeaux, par surpâturage, piétinement ou élimination par une végétation poussant sur des déjections contaminées par des médicaments ?

Perte en diversité

Que dire aussi de la perte en diversité des insectes pollinisateurs et autres invertébrés, des criquets aux sauterelles, qui en dépendent pour se nourrir et se reproduire, et des maladies (brucellose, kératoconjonctivite, piétin) transmises par les concentrations excessives d’ovins à la faune sauvage de chamois et bouquetins ? Rappelons au passage que les problèmes des éleveurs datent d’avant l’arrivée du loup… Ils résultent plutôt de la forte concurrence internationale et de la baisse de consommation de viande ovine en France.

On pourrait ajouter bien d’autres facteurs négatifs créés par la profession des bergers actuels : pollution et compaction des zones humides, perte de cohésion des sols de pente, dominance d’espèces végétales nitrophiles, constatés jusqu’au cœur des parcs nationaux. Quant aux fameux paysages agropastoraux des Cévennes, ils se banalisent et s’artificialisent, sous les pressions conjointes de l’intensification, du tourisme, de la chasse et d’une surexploitation des eaux jusque dans la zone centrale, sans que le loup y soit pour quelque chose. Enfin, le principal facteur de banalisation du paysage et de disparition des terres agricoles en France est très nettement l’urbanisation : déjà 7 millions d’hectares disparus sous le béton en cinquante ans, dont 900 000 hectares de prairies entre 1992 et 2003.

Au passage, un mot sur la forêt, si souvent tenue pour une fermeture du paysage, voire une régression. On peut se demander sur quels critères devrait-on opposer la qualité, la diversité et le dynamisme des paysages créés par des siècles de pratiques paysannes et les boisements spontanés, si fort accueillants pour la faune. Quant aux forêts matures qui leur succéderont un jour, comment peut-on encore passer sous silence leur immense valeur écologique ?

Fonctions de régulateur

On tente donc une nouvelle fois de diaboliser le loup, au moment où il se réinstalle durablement en France. Les loups ne sont que 300 à 350 dans une vingtaine de départements, ce qui est peu au regard des densités des deux derniers siècles : 6 500 animaux estimés au XVIIIe siècle. Pourquoi la France ne pourrait-elle pas héberger quelques centaines de loups quand nos voisins, l’Espagne et l’Italie, en tolèrent chacun 4 à 8 fois plus, sans avoir pour autant sacrifié le pastoralisme ?

Certes, le loup mange – aussi – des brebis. Mais faut-il croire ceux qui pensent qu’il négligerait ses fonctions de régulateur d’animaux sauvages pour s’attaquer aux proies domestiques saines ? Grâce aux centaines de publications parues sur l’espèce ces dernières décennies, on sait que le loup attaque autant les uns que les autres, en fonction du nombre d’individus dans la meute et des capacités alimentaires locales, entre autres. En fait, les meutes structurées ont tendance à se nourrir de proies sauvages, alors qu’après les tirs dits de régulation qui se multiplient les rescapés jeunes et isolés se rabattent sur les moutons.

Dans tous les cas, le loup bénéficie pour son expansion du retour des grands ongulés sauvages – chevreuils, chamois, sangliers – bien plus que du cheptel domestique. En effet, les près de 6 000 ovins consommés par les loups chaque année ne sauraient suffire à nourrir une population dont les besoins alimentaires journaliers sont estimés à 2 à 6 kg de viande en moyenne. Quant aux pertes de cheptel – les attaques par les chiens errants, plus nombreuses, ne sont que très peu prises en compte –, elles doivent être comparées aux 750 000 morts dans les troupeaux par accident ou mort naturelle constatées chaque année.
Un rôle essentiel

Au total, nous affirmons, après bien d’autres, que le loup joue un rôle essentiel dans certains processus-clés des écosystèmes, de la régulation des herbivores au rôle de pourvoyeur de carcasses pour les petits carnivores. Situé au sommet des réseaux trophiques avec le lynx, le loup détient la palme des effets en cascade positifs sur la biodiversité. Et cela en Europe comme en Amérique.

Dernier point, fortement polémique, mais inévitable : « grâce » au loup, le revenu de certains éleveurs de moyenne montagne peut doubler. Les aides à la prévention, les dispositifs de protection financés par le ministère de l’agriculture et l’Europe, et bien sûr les indemnisations du bétail tué par les loups mobilisent une part conséquente du budget national : autour de 10 millions d’euros par année.

Peut-on sérieusement croire qu’un grand pays comme la France est incapable de trouver une solution ? C’est une question de volonté, mais une grande partie du monde agricole refuse hélas toute discussion. C’est d’autant plus dommage que le retour du loup pourrait signifier, partout, celui du berger. Accepter la présence d’un animal comme le loup serait un symbole d’espoir pour ce XXIe siècle si préoccupant. Nous souhaitons vivement une approche responsable et éthique, loin des démagogies coutumières.

Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux

Pierre Athanaze, naturaliste, « Forêts sauvages », président de l’Aspas

Jean Claude Génot, écologue, rédacteur en chef de la lettre « Naturalité »

Vincent Munier, photographe

Fabrice Nicolino, journaliste

Yves Paccalet, philosophe, naturaliste

Annik Schnitzler, professeur d’écologie, Université de Lorraine

Pierre Jouventin, Ecologue et Ethologue, spécialiste des mammifères et des oiseaux.

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