Le "finning" est définitivement banni des eaux européennes. Jeudi 22 novembre, le Parlement européen a mis fin, une bonne fois pour toute, à cette pratique cruelle et dangereuse pour la survie de l'espèce consistant à découper des ailerons de requins à bord des navires de pêche avant de rejeter les corps agonisants à la mer.
La nouvelle législation, votée de manière écrasante par 566 voix pour et 47 voix contre, prévoit que les navires pêchant dans les eaux de l'Union européenne et les bateaux européens pêchant hors des eaux communautaires auront "l'obligation de débarquer les requins avec les nageoires naturellement attachées au corps". La nouvelle règlementation, qui doit encore être validée par le conseil des ministres de la pêche – il s'est déjà prononcé en faveur en mars –, devrait entrer en vigueur au début de l'année 2013.
"Il s'agit d'une avancée majeure de l'Union européenne, premier pêcheur de requins au monde, se réjouit Sandrine Polti, conseillère politique pour la fédération d'ONG Shark Alliance. Ce vote pallie une lacune juridique dans notre législation, qui permettait de pratiquer le finning sans que cela soit répéré ni sanctionné."
DÉROGATIONS POUR L'ESPAGNE ET LE PORTUGAL
Car si l'Union avait déjà interdit cette pratique en 2003, les pêcheurs espagnols et portugais jouissaient de dérogations qui leur permettaient de découper les ailerons à bord des bateaux, à condition de conserver également les carcasses. Le problème, c'est que corps et nageoires pouvaient être débarqués séparément, y compris dans des ports différents. Une autorisation qui rendait les fraudes aisées : les contrôles, consistant en un ratio entre le poids des ailerons débarqués et celui des carcasses, ne pouvaient pas être systématiquement réalisés.
Après des années de négociations, la Commission européenne a proposé, en novembre 2011, de supprimer cette possibilité et d'obliger les pêcheurs à ramener les requins entiers. La majorité des eurodéputés se sont alors ralliés à cette position, contre l'avis du rapporteur de la commission de la pêche, la démocrate-chrétienne portugaise Maria do Céu Patrão Neves, qui proposait de maintenir un régime dérogatoire assorti de modalités de contrôle renforcées.
"L'Espagne et le Portugal avançaient que le maintien des ailerons rendait difficile le stockage des requins dans les cales des navires et mettait en danger la sécurité des équipages, expose Sandrine Polti. Une argumentation fallacieuse, dans la mesure où la Commission autorise les ailerons à être partiellement découpés de manière à être repliés."
ENJEUX ÉCONOMIQUES
En réalité, les raisons de ce refus ibérique sont essentiellement économiques. Les ailerons de requin se vendent en effet entre 20 et 40 euros le kilogramme, contre 1 à 2 euros pour la chair. "Le principal intérêt de cette pêcherie, ce sont les ailerons", résume Sandrine Polti. Une partie particulièrement recherchée en Asie, où elle est mijotée en soupe. Ainsi, les 100 000 tonnes de requins et raies capturés chaque année par les flottes européennes – dont 60 000 pour la seule Espagne – sont majoritairement destinées au marché asiatique.
Une demande considérée comme une des causes du déclin de l'espèce. Selon les scientifiques, environ un tiers des espèces de squales présentes dans les eaux européennes sont en danger. Dans le monde, cette surpêche serait responsable de la disparition de 73 millions de requins chaque année, selon l'association Pew Environment Group, qui estime qu'une trentaine d'espèces sont directement menacées d'extinction.
RÉGULATION DE L'ESPÈCE
"Les requins paient un lourd tribut à la convoitise des humains. Si ce vote est encourageant, l'Union européenne doit encore passer du stade de mauvais élève à celui de leader, en plaidant pour que cette pratique soit proscrite au niveau international", prévient Sandrine Bélier, députée européenne EELV, dans un communiqué.
Car le finning, s'il s'avère de plus en plus décrié, reste pratiqué par certaines flottes d'Afrique de l'Ouest ou d'Asie. C'est notamment le cas en Indonésie et en Inde, plus gros pêcheurs de requins après l'UE, avec respectivement 90 000 et 80 000 tonnes capturées en 2009 – sur un total de 700 000 dans le monde – selon l'Organisation des Nations unies pour l'agriculture et l'alimentation.
Au-delà de cette pratique, c'est la question de la régulation de l'espèce qui doit être posée dans son ensemble, estime Sandrine Polti. Et de déplorer : "L'Union européenne n'a fixé aucune limite de capture aux requins mako et requins peau bleue, les espèces les plus pêchées."
Audrey Garric