OGM et pesticides : le désastre argentin, la guerre transatlantique.

 Par Paul Moreira

Les OGM permettent d'utiliser moins de pesticides et de produits chimiques: c'est l'argumentaire de l'industrie transgénique. Problème: il est faux et l'Argentine, massivement convertie au soja OGM, est en train d'en payer le prix fort sur le plan sanitaire et agricole. Le journaliste Paul Moreira en revient, avec un documentaire diffusé lundi sur Canal+. Enquête et extraits.

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Manuel Valls est un chaud partisan des OGM. Dans son programme pour la primaire socialiste en 2011, intitulé « l'abécédaire de l'optimisme », il en vantait les bienfaits. Pour l'environnement notamment. Les OGM, expliquait-il, permettaient d'utiliser chaque fois moins de pesticides et de produits chimiques dangereux (voir sa vidéo en cliquant ici). C'est exactement le message que répand partout l'industrie transgénique. Toujours plus d'OGM, c'est toujours moins de pesticides...

Avec cette promesse, elle a conquis presque toute la planète. Une poignée de pays européens traîne encore les pieds. Mais pour combien de temps ? Depuis le début de la conquête transgénique, le gouvernement américain s'est littéralement mis au service de la firme Monsanto. Et lors des prochaines négociations du traité transatlantique de libre-échange (ou TAFTA), les OGM risquent d'être imposés partout en Europe.

Quinze ans se sont écoulés depuis l'arrivée de l'agriculture transgénique. C'est assez de recul pour pouvoir évaluer la véracité des promesses. Les OGM demandent-ils vraiment toujours moins de produits chimiques ? Si c'est le cas, c'est une aubaine du point de vue de l'écologie et de la santé. Car, on le sait maintenant, les pesticides sont un poison dangereux. Pour se faire une idée, il y a deux méthodes. S'en tenir à la lecture des études menées par les firmes transgéniques qui garantissent l'innocuité de leurs produits et de leur modèle agricole. Ou bien, aller voir sur place... Entre décembre 2013 et juin 2014, j'ai visité la face cachée du modèle transgénique.

Je m'étais déjà intéressé aux OGM, il y a quinze ans, pour l'émission 90 minutes, sur Canal Plus. J'ai même été l'un des derniers journalistes critiques à avoir la chance de pénétrer avec une caméra dans les laboratoires de Monsanto. J'avais eu droit à une visite guidée, surveillée de très près par un homme de la communication. Mon guide, Ted, m'avait expliqué la technologie des plantes modifiées.

« This is good technology ! Super technology ! » Ted jouait l'enthousiasme. Il était payé pour. Il s'était attardé devant le « pistolet à gènes », la machine « la plus cool » de leur laboratoire. Elle projetait un gène dans une plante avec un petit bruit sec de pistolet à air comprimé. Rigolo, non ?...

Mais devant un plant de soja, Ted avait remarquablement accéléré le débit de son explication, jusqu'à la rendre incompréhensible. Le soja était « résistant à un herbicide »... En vérité, je n'avais pas compris le mécanisme. Faute professionnelle. Je devrais le savoir, quand le discours devient opaque, c'est qu'il dissimule une information importante. L'info, c'était « plante génétiquement modifiée pour résister à un herbicide »... L'agriculteur peut planter sans avoir à labourer et arracher les mauvaises herbes. Pour ça, il lui suffit d'arroser son champ d'herbicide. Le pesticide brûle tout sauf la plante OGM. Je ne voyais pas le problème...

À l'époque, je m'intéressais exclusivement aux questions de brevets. J'étais fasciné par l'idée qu'une firme puisse breveter le vivant comme un logiciel. J'avais négligé les dangers potentiels pour la santé. Ils ne semblaient pas réels. Je me trompais.

Ce qu'il fallait comprendre, c'est que les OGM n'existent pas sans produits chimiques. C'est un couple indissociable. Quand Monsanto vend ses OGM, il vend surtout des millions de litres de Round Up Ready, son herbicide à base de glyphosate. Sans lui, les plantes OGM seraient asphyxiées par les mauvaises herbes. Aujourd'hui, cette technique, le soja résistant à l'herbicide, est au centre d'une future catastrophe. C'est ce que j'ai vu dans les plaines d'Argentine, quinze ans plus tard.

L'Argentine a entamé sa course au transgénique depuis 1996. Elle a multiplié sa surface cultivée par trois en quinze ans. Un triomphe du point de vue financier. Le soja OGM massivement exporté vers l'Europe a permis à l'Argentine de retomber sur ses pieds économiquement. Aujourd'hui, c'est quasiment 100 % du soja produit en Argentine qui est OGM, et qui résiste au glyphosate.

On devrait dire « qui résistait au glyphosate ». Car il ne résiste plus. Hector Rainero est fonctionnaire à l'INTA, l'Institut national de technologie agricole. Cette institution gouvernementale a convaincu les agriculteurs argentins d'adopter les plantes OGM. Aujourd'hui, il reconnaît l'échec : « À force d'être attaquées au glyphosate jusqu'à quatre fois par an, les mauvaises herbes se sont adaptées, elles ont muté, elles sont devenues elles aussi résistantes à l'herbicide. Alors, pour en venir à bout, il faut augmenter les doses, rajouter des produits chimiques, chercher de nouveaux cocktails. Heureusement, les firmes transgéniques nous aident beaucoup... »

Les sols argentins sont imbibés de combinaisons d'agrotoxiques. De l'aveu même du gouvernement, personne n'a étudié l'impact sanitaire de ces combinaisons chimiques, leur synergie, leurs effets combinés. Sur un tracteur d'épandage, j'ai découvert des fûts de Round up mélangés à de l'Atrazine, un agrotoxique interdit en Europe (il change le sexe des grenouilles...) et du 2,4 D, un des composants actifs de l'agent Orange, le célèbre défoliant militaire qui a provoqué des vagues d'enfants déformés au Viêtnam.

Aujourd'hui au Danemark, demain en France ?

Dans la province du Chaco, ces méthodes ont un coût humain. Dans certains villages agricoles, près des champs OGM, le nombre des enfants difformes a été multiplié par trois depuis l'explosion du transgénique. Le gouvernement argentin n'a déclenché aucune étude médicale pour connaître la cause de ces difformités. Il prend les choses avec fatalisme. Viviana Perez qui élève une fille de 12 ans frappée d'une grave affection génétique inconnue dit : « J'ai mille fois eu envie de baisser les bras. Mais, non, jusqu'à ce que Dieu en décide autrement, je dois continuer... »

Alejandro Mentaberry, vice-ministre des sciences argentin et partisan des OGM, ne nie pas l'existence de cette vague d'enfants malades. C'est le prix du miracle argentin : « Malheureusement, il y a toujours des victimes dans ce genre de processus, c'est inévitable... », concède-t-il.Si, au gouvernement, personne ne connaît l'impact de ces cocktails, il est difficile d'imaginer que chez Monsanto, on ne s'y intéresse pas. Mais Monsanto ne souhaite pas commenter cette défaillance de sa technologie. Ni les conséquences possibles de mélanges avec des produits toujours plus durs. Le groupe Monsanto s'est fermé totalement aux regards extérieurs s'ils sont suspects d'être critiques. Leur politique de communication est stricte. Éviter d'exposer les gens de l'industrie dans les « killing fields », les zones de feu que sont les interviews polémiques. Un document interne leur conseille d'utiliser plutôt des experts, des figures emblématiques, des gens qui sont des histoires à eux tout seuls et qui peuvent répliquer « au feu par le feu » (lire ici ce document sur leur stratégie de communication).

Nous avons rencontré l'un des agents d'influence les plus mis en avant par l'industrie transgénique : Patrick Moore. Officiellement, c'est un écologiste, un ancien de Greenpeace.

Il dit aujourd'hui promouvoir le riz doré OGM afin de combattre les carences en vitamine A dans le tiers-monde. Mais il prend la défense de l'industrie transgénique avec virulence, quel que soit le sujet. L'industrie transgénique tente de nier autant que possible la réalité sanitaire qui frappe l'Argentine. Elle tente d'effacer les zones de soupçon en affirmant que ses produits sont testés. Mais il suffit de suivre la trace du soja OGM, jusqu'en Europe, pour continuer à avoir des doutes.

Au Danemark, les élevages de porcs sont confrontés à la « mort jaune », une épidémie inexpliquée de diarrhée violente tuant jusqu'à 30 % des porcelets. Elle pourrait être liée à une agression contre certaines bactéries du système digestif. Des centaines de bêtes meurent de maladies gastriques aux causes inconnues. Là-bas, les bêtes sont nourries à 100 % aux OGM. Certains fermiers mettent en cause le combo transgénique : soja OGM+herbicide glyphosate. Une poignée d'entre eux, comme Ib Pedersen, a abandonné les OGM et affirme que leurs bêtes se portent mieux. Le gouvernement a demandé à une université d'agronomie d'évaluer l'impact du glyphosate sur les bactéries digestives.

Le problème pourrait dépasser le royaume du Danemark. En France, il faut savoir qu'il y a une chance sur deux pour que la côtelette de porc que nous mangeons vienne d'une bête nourrie au soja transgénique. La moitié des bêtes d'élevage françaises sont nourries aux OGM. Pourquoi alors, aucun éleveur, aucun magasin, aucun importateur de nourriture animale n'accepte d'en dire un mot ? Que craint-on ? Un nouveau scandale alimentaire ? Xavier Beulin, le président de la FNSEA, le reconnaît : « Il y a une omerta en la matière car les éleveurs ont été trop exposés dans des scandales à répétition dont ils n'étaient pas responsables. »

L'enjeu du traité transatlantique

Nous vivons au cœur de la grande guerre du transgénique. Elle est restée invisible mais n'en est pas moins violente. Grâce aux câbles diplomatiques américains dévoilés par Wikileaks en 2012, on sait que le gouvernement américain s'est littéralement mis au service de l'industrie transgénique, a exercé des pressions, amicales ou plus musclées, pour que Monsanto puisse s'imposer partout. Nous avons pu reconstituer certains épisodes de cette offensive du soft power pro-transgénique.

Ainsi, en France, en 2007, l'ambassadeur Craig Stapleton a monté une réunion secrète entre des représentants des firmes transgéniques et un patron de l'agriculture française pour élaborer une stratégie commune. J'ai retrouvé cet agriculteur. Il raconte qu'il fallait faire plier le gouvernement français et réduire l'influence de José Bové dont le nom apparaît des dizaines de fois dans les câbles (ces documents peuvent être lus ici). Il existe au ministère américain des affaires étrangères un homme dont le rôle exclusif est d'assurer la promotion du transgénique. Il s'appelle Jack Bobo. Il l'a expliqué lors d'une conférence dans une université américaine : « Le transgénique est pour nous une affaire de sécurité nationale... » Voir, ci-dessous, sa conférence à Cornell University, en décembre 2013.

Le prochain épisode de la grande guerre du transgénique se jouera très certainement lors des négociations du traité transatlantique de libre-échange. Ce traité commercial vise officiellement à harmoniser les normes sanitaires et réglementaires entre les États-Unis et l'Europe. S'il venait à être imposé selon les termes que souhaitent les Américains, il serait sans doute difficile de refuser les importations d'OGM au nom du principe de précaution. Il serait même probablement impossible de les étiqueter pour en informer le public. L'industrie transgénique considère l'étiquette OGM comme une « atteinte au droit à rester silencieux » et poursuit l'État du Vermont qui a osé l'autoriser dans les supermarchés. L'étiquette OGM était l'une des promesses de campagne de Barack Obama. Elle n'a toujours pas été imposée au niveau fédéral.

Après la signature du traité, s'il est signé, de nouveaux acteurs vont rentrer en jeu : les arbitres. Si une firme estime qu'un État ne respecte pas sa liberté de commerce, elle peut demander réparation devant une cour arbitrale. Il ne s'agit pas de juges mais d'anciens avocats d'affaires ou de lobbyistes, spécialistes du droit commercial. À titre d'exemple, Daniel Price, un ancien lobbyiste de Monsanto, est arbitre. Price intervient notamment dans le cas Philip Morris contre l'État de l'Uruguay. Le gouvernement uruguayen imposant des avertissements santé un peu trop gros sur le paquet de cigarettes, la multinationale du tabac le poursuit.

Corinne Lepage, ex-députée européenne, qui s'est battue contre le projet de traité transatlantique explique : « Si demain Monsanto n'accepte pas que la France étiquette leurs OGM ou les refuse, ils nous poursuivront devant des arbitres et demanderont des centaines de millions de dollars de dommages et intérêts. Pour discrimination commerciale... C'est une guerre qui ne dit pas son nom. » Évidemment, dans ce monde nouveau, l'avis des citoyens français, majoritairement réticents à consommer des OGM, est totalement facultatif...

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