Nagoya mon amour...

01/11/10


C’EST DEPUIS CET ENFER URBAIN QUE LES CHIFFONNIERS DOMINANTS SE DISPUTENT NOTRE BIOPATRIMOINE MONDIAL, C’EST D’ICI QUE LES BANKSTERS PHAGOCYTENT NOTRE VIVANT


À Nagoya on parle beaucoup plus d’économie que d’écologie…

Le seul et unique souci d’Homo sapiens modernicus est de vider le ventre de Gaia.

Les agresseurs de la biosphère ont tué et ils tueront encore.

Faisons-leur confiance, le WWF veille au grain : au royaume des faux-culs l’écologisme de pacotille est roi.

C’est donc de cette mégapole contre-nature (y’a pas photo !) que les maîtres-chiffonniers qui nous tiennent en laisse se disputent ce bien collectif qu’est notre diversité botanique et faunistique, tant quantitative que qualitative. Autant le dire tout de suite : ces gens-là n’y connaissent rien et sont possédés par une réelle détestation de la vie sauvage.

L’instant de la curée finale est advenue, c’est l’hallali, ils tirent des plans sur la comète, l’obsession majeure des équarisseurs en congrès étant de dépecer Gaia, n’en déplaise aux « marginaux » qui prétendent que la philosophie homéotélique des Peuples premiers était et reste la bonne. Ceux qui avaient raison d’avoir tort parce que toutes leurs cellules, tous leurs neurones étaient en phase avec la Nature, ceux-là font rire les mercenaires de la finance, autoproclamés décideurs planétaires.

Nagoya la belle, siège social de Toyota, troisième plus prospère des villes du Japon, avec une densité de 6 873 personnes par km² et une agglomération de 9 millions d'habitants. Tout un rêve de civilisation ! Ne parlons plus surpopulation, ne parlons donc que surconsommation.

Du 18 au 29 octobre, la dixième conférence des Parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CDB) s’est assigné pour finalité l'adoption d'un nouveau plan stratégique pour la période 2011-2020. Parmi un panel de 20 objectifs figurent notamment l'arrêt de la pêche excessive (le choix du Japon n’est pas un hasard), la réduction du taux de pollution (suite des gargarismes de Copenhague) et l'inscription de la biodiversité sur la liste des priorités étatiques et sociétales. Ce dernier chapitre suffirait à envelopper tout le reste : il ne faut pas être un fin exégète biocentriste pour comprendre qu’une biodiversité chaque fois un peu plus meurtrie condamne l’humanité, et que la surpêche ou la surchauffe planétaire ne sont pas des sujets à distinguer mais intrinsèquement compris. Nous sommes entrés de plain- pied dans la 6e crise d’extinction massive d’espèces, la première par la seule faute de l’homme. Selon la dernière mise à jour de la Liste rouge des espèces menacées de l'UICN, 17 291 espèces sur les 47 677 espèces répertoriées sont menacées d'extinction. Les populations de mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens et poissons ont décliné de 30% durant les 40 dernières années. Environ 20% des vertébrés sont menacés : 25% des mammifères, 13% des oiseaux, 22% des reptiles et 41% des amphibiens. C’est également le cas pour 33% des poissons cartilagineux, comme les requins et les raies. 70% des plantes et 35% des invertébrés connus à ce jour attestent un grave déclin. Et que dire du nombre infini d’espèces, souvent discrètes ou microscopiques, que l’on détruit avant de connaître. Pour ce qui me concerne, en Méditerranée occidentale, je suis déjà témoin d’un triste inventaire de plantes et d’insectes découverts et aussitôt après éradiqués.

Cette disparition galopante des espèces et un épuisement des ressources déjà très engagé n’incombent qu’au capitalisme en vigueur et au socialisme industrialiste qui en est solidaire. Pour enrayer l’hémorragie, il eut semblé plus réaliste de confier un tel dossier à un comité des sages, plutôt qu’au lobby d’une mafia d’économistes à la solde du système coupable. Mais comme il s’agit de faire semblant et seulement d’aboutir – au mieux – à des déclarations d’intentions cosmétiques, il ne faut guère s’étonner de cette énième entourloupe.

Précision : l’avis d’un écologisme dit radical est-il vraiment décalé ? Comment peut-on taxer de radical celui qui est aux petits soins avec le Vivant et montrer tant d’indulgence, voire de compromission à l’égard de l’exterminateur qui met tout en œuvre pour un écocide final des écosystèmes et de leurs hôtes. Oui, oui, je sais, l’économie, les emplois, le pouvoir d’achat ! Donc, tout doit disparaître à ce titre. Alors vivons un présent sans devenir, niquons en beauté les générations futures.

Tandis que la clôture approche, les représentants des 193 pays réunis ont fait peu de progrès. Il y aurait comme un hiatus entre les pays les plus riches en biodiversité, ceux en voie de développement et que l’Occident voudrait continuer à piller, à appauvrir, à asservir, et les pays développés, nantis mais vidés depuis belle lurette de leur cortège originel d’espèces endémiques et précieuses. La recherche d’une alliance globale entre voleurs et volés, entre usurpateurs et victimes est donc assez utopique. Sauf que l’inique rapport de force Nord-Sud devrait permettre, au final, d’amadouer les décideurs des pays bâillonnés dont les populations, pour la plupart encore soumises à de pseudo dictateurs, n’ont pas voix au chapitre. La confiance s’achète, il ne faut pas se leurrer. S’ils acceptent de « partager » leur réservoir génétique, le protocole prévoit de débloquer des milliards de dollars pour… un meilleur train de vie de la classe dirigeante de ces pays dits en développement.

Le prix du parfum des fleurs, le prix du nectar des pollinisateurs, le prix du chant des oiseaux, le prix du vol d’un papillon, le prix des chemins creux, le prix d’une frondaison frémissant à la brise crépusculaire, le prix de la beauté bradée, combien ça coûte, pauv’con ? Parce que l’écologie, c’est aussi cela.

Si aujourd'hui, on consomme la nature sans en payer le prix, l’ultralibéralisme aura les moyens de mettre le prix pour consommer la nature ! Et comment !

L'Union européenne a notamment pour ambition de chiffrer le coût que fait peser à terme sur l'économie mondiale l'absence de politique ambitieuse de protection de la biodiversité. C’est une idée comme une autre. Chargé de cette mission comptable, l’économiste indien Pavan Sukhdev a présenté mercredi dernier à Nagoya les conclusions de son étude intitulée « Économie de la biodiversité et des services écosystémiques », laquelle étude évalue en fric sonnant et trébuchant les espèces chaque jour perdues. Voilà bien une méthode suffisamment laide et lourdingue pour réconcilier les économistes avec les forêts et les bestioles ! Une vision bouffie et boursicotière du Vivant pourrait donner à réfléchir et à détruire autrement. Question de méthode. « Par exemple, l'agriculture, dans la plupart du monde en développement, dépend de ressources comme les rivières, les forêts qui tempèrent le climat ou qui évitent des inondations, etc. Et du coup, on peut montrer ce que ces activités économiques peuvent perdre si disparaissent ces rivières en bon état, ces forêts, etc. On peut le faire aussi pour le tourisme, et même pour l'industrie », argumente « avec brio » Yann Laurans, un certain économiste de l’environnement qui flaire le bon plan. CQFD : quelle lapalissade imbécile !

En ôtant toute approche spirituelle, immatérielle, contemplative et respectueuse de la Nature, en la valorisant prosaïquement et économiquement, celle-ci ne sera plus qu’un produit marchand. L’avènement d’un PIB vert permettra donc aux banksters et à leurs disciples d’acheter, de vendre, de louer sans vergogne une barrière de corail ou tout écosystème terrestre ou marin. Combien une barrière de corail ? Combien cette forêt, cette savane, cette lande, ce marais, ce lac, ce bout de littoral, cette montagne et leurs hôtes ?

La vile domestication nous a permis la traite des espèces comestibles ou de compagnie : combien le kilogramme de côtelettes de ce doux agneau ? Combien ce petit chien dans la vitrine ? Une fois quottée, tarifée, la Nature sauvage se retrouvera domestiquée et négociable en tranches. Nous écartant chaque fois plus du mystère et du panthéon animiste, nous démolirons, nous déconstruirons, nous épuiserons. Mais tel est le but assigné de ces environnementalistes anthropocentristes qui ne voient à travers la Nature que ce qu’elle rapporte. Quand on nous disait qu’« ils » avaient planté des millions d’arbres dans le désert du Néguev, ce n’était que pour en exporter les fruits productivistes en induisant l’éviction de la flore et de la faune locales, en épuisant et en polluant les nappes phréatiques… Il semble bien que la néantisation du Vivant corresponde à une demande consensuelle de presque 7 milliards de Terriens. Qui ne dit mot consent.

À nos escrocs, l’humanité reconnaissante

Les écologues, les biologistes et les naturalistes, les paysans et les agronomes vrais, les artistes et les poètes, gardiens de toujours de ce qui reste de paradis sur Terre, doivent donc passer la main aux tenants de l’économie la plus ravageuse qui soit. C’était donc cela le changement de paradigme que l’économie verte nous susurrait à l’oreille. Le tour est joué, les bourreaux de la Nature seront ses secouristes, les empoisonneurs sont déjà nos médecins. Un indice discret : la directrice du développement durable de Bouygues-béton est présentement l’invitée d’honneur du Festival du vent à Bastia, un évènement d’inspiration écologique. Il faut y voir un signe, un signe des temps.

Je ne me sens pas apte à continuer à vivre sur une Terre que l’on détruit sur justification tarifaire. Cette quête du profit se heurte à celle pour la vie. La vie n'a pas de prix. Le compte à rebours est désormais trop avancé pour être acceptable. Au lieu de siffler la fin de la récré, on exploite tous les oxymores pour jouer les prolongations jusqu’au déclin. Qui sont-ils, que veulent-ils ces adeptes d’une économie chaque fois plus ravageuse et délétère ? Quelle est leur vérité, où est leur seconde planète ? Comment prendre la tangente, comment sortir de l’humain ?

Je suis naturaliste par passion depuis mon plus jeune âge et bien sûr je n’ai rien compris. Expliquez-moi…

Michel Tarrier

Écologue, écologiste radical

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