Habitués à la servilité des petits personnages médiocres de la classe politique, les lobbies perdent bien souvent le sens de la mesure et oublient que l’état de droit borne leurs exorbitants privilèges.
C’est que les lobbies de la chasse, de l’agriculture, de l’industrie ou des travaux publics pèsent lourd sur les élus.
Ainsi, une récente anecdote illustrera mon propos.
Les exploitants d’un centre commercial à l’enseigne SUPER U massacrèrent des animaux lors d’un safari exotique et, fiers de leurs exploits, en firent profiter universellement les visiteurs d’internet.
Grand mal leur en prit.
D’innombrables amis des animaux, de la nature et des esprits conscients de la dignité humaine protestèrent à l’encontre de tels comportements que nous souhaitons voir disparaître.
Rendons hommage à la direction de l’enseigne SUPER U qui congédia les valeureux tueurs touristiques.
L’affaire pouvait en rester là.
La tuerie d’animaux sauvages est contraire à l’éthique de SUPER U et de l’immense majorité de nos contemporains.
Ce n’est pas sans jubilation que j’apprends que la fédération nationale des chasseurs engagerait une action en diffamation à l’encontre de l’enseigne, considérant comme portant atteinte à son honneur la critique de son loisir de mort, critique que nous partageons sans réserve.
JUPITER (celui de la mythologie) rend fous ceux qu’il veut perdre disait l’adage antique et réjouissons-nous de l’énormité de la méprise de nos plaideurs cynégétiques.
Pour que chacun profite de mon hilarité, je dois préciser que les délits de diffamation et d’injure, prévus par les articles 29 et 32 de la loi du 29 juin 1881, relatives à la liberté de la presse, protège l’honneur et la considération des personnes physiques et des personnes morales.
Rassurez-vous, on dit « personnes morales » mais la morale n’a rien à voir avec la chose.
Une personne morale est une association, une société, un syndicat, bref une organisation constituée juridiquement.
En revanche, les faits sociaux, les sports, les loisirs, les activités, les comportements, les opinions ne sont nullement protégés par la loi.
En conséquence, vous pouvez adresser à la chasse, comme vous le pourriez au jeu de boules, au foot, au cyclisme ou aux jeu d’échecs, toutes les critiques, tous les dénigrements qu’il vous plaira.
On ne peut pas diffamer un loisir.
La loi ne le protège pas.
Et la servilité des politiciens n’y change rien.
Donc, si vous ne souhaitez pas un procès en diffamation (qui souvent vaut mieux qu’une médaille), insultez une activité qui vous répugne, mais gardez-vous d’imputer à une personne physique ou moral un comportement portant atteinte à son honneur.
Or, SUPER U a justement souligné que le loisir de mort est contraire à l’éthique de l’enseigne ce qui honore cette enseigne.
Que cela ne plaise pas aux dirigeants de la chasse est une chose.
Ils doivent apprendre que la soumission des monarques de ce pays ne vaut pas loi et que désormais les humains s’émancipent de l’art de tuer.
Ils doivent aussi apprendre que la constitution, en son préambule, ainsi que l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme couvrent d’un voile protecteur la liberté
d’expression.
Mais les chasseurs ne sont pas les seuls à rêver d’un monde sans contestation, sans remise en cause des anachronismes et des nuisances.
Confrontés aux recours des associations de protection de la nature et aux réactions des riverains de leurs grands projets inutiles, des élus locaux, en mal de routes ici, de lignes à très grande
vitesse ailleurs, d’éoliennes ou de centres commerciaux gigantesques, voudraient supprimer le recours au juge, pour les opposants.
Tout projet d’aménagement (en fait, de déménagement de la nature) pourrait être décidé par les élus locaux sans que nul ne puisse déférer l’ouvrage à l’appréciation des juges.
Or, dans un état de droit, lorsqu’il y a un différend, une opposition, seul le juge peut trancher la difficulté.
En France, cela résulte d’un principe fondamental reconnu par les lois de la république et, en droit supra-national, l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme édicte que toute personne peut recourir à un juge impartial pour soumettre un litige.
La passion égare parfois des élus qui, se heurtant à une décision contraire du Conseil d’Etat, voudraient violer les bases de la société de droit pour imposer leur choix.
Pas plus que pour les chasseurs, ces menées ne peuvent aboutir car elles se heurtent à un socle juridique garanti par les normes supérieures.
Un projet de travaux publics devra toujours être susceptible d’être déféré au juge.
Voyez, amis du vivant et de la nature, la liberté et l’état de droit ont besoin de défenseurs.
Les lobbies sévissent et certains élus oublient que la fonction élective ne fait pas d’eux des maîtres, des seigneurs, mais d’humbles et éphémères serviteurs de la chose publique.
Sur le fond, la biodiversité s’effondre et le climat dérape.
Il est urgent d’abolir la chasse et d’arrêter les grands travaux inutiles qui aggravent l’altération de la planète.
Vite, des forêts, pas du béton !
Gérard CHAROLLOIS