par
Gérard Charollois Président de la Convention vie et nature,
David Chauvet Vice-président de l’association Droits des animaux(1)
Armand Farrachi Porte-parole du Collectif pour l’abolition de la chasse à courre
Article paru dans le quotidien Libération du 25 Septembre 2012
«Faire confiance à la justice de son pays», croire que le bien public triomphe de l’arbitraire, c’est ce à quoi pouvaient s’attendre les associations qui jugeaient légitime de rendre inconstitutionnels et, donc illégaux, des actes de cruauté punis sur tout le territoire, et qui ont demandé au Conseil constitutionnel, la plus haute autorité juridique du pays, de constater l’inconstitutionnalité de la corrida, même en cas de «tradition locale ininterrompue». Lorsqu’il s’agissait de remettre en cause la loi sur le harcèlement sexuel, les juges constitutionnels - des hommes pour la plupart - avaient argué de son imprécision pour la censurer. Aujourd’hui, bien que certains tribunaux admettent la résurrection de la corrida après plus de soixante-dix ans d’interruption, comme à Alès, et malgré les fluctuations jurisprudentielles, déclarant que «la seule absence ou disparition d’arènes en dur ne peut être considérée comme la preuve évidente de la disparition d’une tradition», l’existence d’un «club taurin» suffisant à l’établir, le Conseil juge «non équivoque» la notion de «tradition locale ininterrompue». Selon quel critère ? Qu’est-ce qui distingue l’arbitraire du raisonnable, «l’équivoque» de «l’évident» ? Le Conseil est muet sur ce point. Si la corrida est délictueuse ici et pas ailleurs, c’est donc uniquement parce qu’il en décide ainsi. Il est vrai que les «sages» ne sont pas tous ces juristes de haut niveau que la fonction, en bonne logique, appellerait dans un Etat de droit, et ils n’ont pas été nécessairement choisis pour leur compétence juridique. Issus de nomination politique, plusieurs sont connus pour leur proximité avec des lobbies, comme celui de la chasse.
Une justice indépendante ne peut servir à légitimer le bon plaisir du prince, de ses féodaux, des lobbies, d’autant qu’en l’espèce, ce Conseil statue sans recours juridique possible. Cette décision, mieux qu’aucune autre, pointe une aberration juridique. L’intérêt de la «classe politique» pour les spectacles sanglants, corrida ou chasse à courre, étant proportionnel à la réprobation qu’ils suscitent dans la «société civile», comme on appelle maintenant le tiers état, ce pays n’a donc pas seulement un problème avec l’éthique, mais aussi avec la séparation des pouvoirs évoquée par Montesquieu. Ce n’est pas même que les tortionnaires sont tolérés par le pouvoir, ils siègent au pouvoir, à la table des ministres, dans les tribunaux, etc. La France, ci-devant «patrie des droits de l’homme», est bien un des pays les moins démocratiques et les plus rétrogrades d’Europe, non pas seulement sur la condition animale, mais aussi sur les droits de ceux qui les défendent, eux-mêmes soutenus par la majorité des Français. Le camouflet du 21 septembre concerne à la fois les défenseurs des animaux et les défenseurs de la démocratie. Il ne reste plus qu’à conseiller à ceux qui brûlent des voitures dans l’Est de la France les soirs de réveillon de tenir bon, jusqu’à ce qu’ils puissent faire valoir une «tradition locale ininterrompue» devant les sages.
(1) A déposé, avec d’autres, la Question prioritaire de constitutionnalité sur la corrida.