par Julien Vinzent
Bien connu des lecteurs de Marsactu, le secrétaire général de la fédération des chasseurs est poursuivi pour destruction d'espèces protégées. Le héron cendré qu'on le soupçonne d'avoir abattu pourrait lui coûter son poste, ce que ses opposants n'ont jamais réussi à obtenir avec sa condamnation pour corruption.
Le mauvais chasseur, il voit un truc qui bouge, il tire. Hors d'un sketch des Inconnus, le bon chasseur vérifie en principe qu'il ne s'agit pas d'une espèce protégée, par exemple un héron cendré. Il semblerait que cette précaution n'ait pas été prise par Jo Condé, secrétaire général de la fédération des chasseurs des Bouches-du-Rhône, qui aurait abattu un volatile depuis les fenêtres du siège de Puyricard. D'abord évoquée en mars par le mensuel Plaisir de la chasse, puis détaillée en avril par Siné mensuel, l'affaire est entre les mains du parquet d'Aix.
À l'origine, une vidéo est opportunément tombée entre les mains de l'office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). "Nous avons bouclé il y a plusieurs mois une enquête sur un héron cendré dans le cadre de nos pouvoirs de police de l'environnement, l'auteur des faits a été identifié et nous avons transmis au procureur de la République", confirme Jean-Yves Bichaton, chef de service départemental de l'ONCFS. Sans toutefois préciser l'identité de la personne poursuivie. L'information est en tout cas revenue aux oreilles de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) de la région, qui a déposé plainte début avril pour destruction d'espèce protégée. "Cela peut motiver un peu plus le parquet de savoir qu'il y a une partie civile", commente Me Victoria, avocat de l'association.
La destruction d'espèces protégées est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. En 2012, pour avoir abattu un héron cendré, un chasseur de Savoie avait été condamné à un mois d’emprisonnement avec sursis, 1 200 euros d’amende, un retrait de permis de chasser de 3 ans et la confiscation de l’arme utilisée. Une affaire semblable secoue actuellement la fédération des chasseurs de Haute-Saône.
"En principe là pour donner l'exemple"
"Quand on tire sur une espèce protégée, on n'est plus un chasseur, on est un braconnier. Et là, ce serait un responsable de la fédération, qui est est en principe là pour donner l'exemple !", fulmine Ghislaine Pechikoff, administratrice de la LPO Paca. Laquelle "n'est pas contre les chasseurs mais les abus de la chasse", tient-elle à préciser. Contacté, Jo Condé n'a pas retourné notre appel, mais son avocat a affirmé à La Provence que la vidéo était un "montage, grossier mais astucieux".
De son côté, l'avocat de la LPO Me Victoria espère que le parquet se prononcera d'ici cet été sur la suite à donner au dossier. Cette affaire vient en tout cas s'ajouter à la longue liste de déboires autour de la fédération des Bouches-du-Rhône et ses dirigeants. Le plus significatif est la condamnation notamment pour corruption de Jo Condé. Mais on pourrait ajouter un procès pour harcèlement moral, où il a été relaxé mais qui a révélé un climat tendu au sein de la structure. En mars, le licenciement d'un candidat aux élections professionnelles sous l'étiquette CGT l'a rappelé. Un possible lien avec la fédération avait aussi été évoqué dans l'agression d'un chasseur dissident, pour lequel un "lampiste" a été condamné sans qu'un éventuel commanditaire puisse être inquiété.
Un motif de démission d'office
Si elle ne dispose plus d'aucune subvention de la part des collectivités locales, auparavant très généreuses, la fédération compte toujours parmi ses dirigeants l'ancien président Jo Condé. Celui-ci, interdit d'exercer cette fonction pendant 5 ans par le tribunal suite à sa condamnation, s'est tout simplement recyclé comme "secrétaire général".
En 2012, il l'avait échappée belle : une loi devait rendre automatique le refus de délivrer un permis de chasse "à ceux qui ont été condamnés pour vol, escroquerie, ou abus de confiance." Or, sans permis de chasse, impossible de siéger au conseil d'administration d'une fédération. Une bonne âme, le sénateur socialiste Jean-Jacques Mirassou, avait réussi à obtenir le retrait de la "loi chasse" de cette "double peine". C'est en vain que Charles Pecoraro, président du comité de défense des chasseurs des Bouches-du-Rhône, celui-là même qui a été agressé, avait réclamé au préfet de prononcer le retrait de permis, toujours soumis à son bon vouloir.
Avec cette affaire de destruction d'espèce protégée, une nouvelle cause de démission pourrait émerger. Les statuts des fédérations de chasseurs, fixés par arrêté ministériel en raison de ses "missions de service public", posent cette condition :
Ne peut être candidate au conseil d’administration (…) toute personne ayant été condamnée depuis moins de cinq ans pour une contravention de la cinquième classe ou pour un délit à raison d’infraction aux dispositions réglementaires ou législatives relatives à la chasse ou à la protection de la nature.
Nul doute que les chasseurs qui contestent depuis des années la gestion de la fédération, en particulier sur les aspects financiers, ne feraient pas la fine bouche sur le motif de la démission d'office.
Par Julien Vinzent, le 17 avril 2014