La Justice, les institutions et la Loi du Marché

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Au même titre que la santé, l’éducation, les transports, l’énergie ou les retraites, l’institution judiciaire doit se « transformer », « s’adapter », « se réformer », se « mettre en mouvement » pour répondre aux exigences du temps.
Traduction de ces éléments de langage :
La justice doit faire des économies pour réduire la dépense publique et satisfaire aux impératifs du Marché.
Les professionnels de la communication, c’est-à-dire de « l’enfumage », viennent de décider d’abandonner le terme de « réforme », désormais démasqué et promeuvent la « transformation » et « l’adaptation ».
Une avocate représentant le conseil national des barreaux énonce, au journal télévisé, commentant l’abandon partiel du jury d’assise : « Nous comprenons qu’il faille faire des économies, mais cela ne doit pas être fait au détriment de la justice démocratique sous la forme des cours d’assises avec participation citoyenne ».
Cette porte-parole du conseil national des barreaux succombe à la propagande délétère : « Il faut faire des économies, oui, mais pas ici ! ».
Cette soumission suivie d’une supplique pourrait être formulée par tout responsable d’un quelconque service public confronté aux exigences comptables de ceux qui font de la société humaine une entreprise commerciale.
En cette année 2018, il est enjoint par les dirigeants de « faire des économies ». En France, cette antienne perdure depuis 1983 et aussi longtemps que les idéologues au pouvoir régneront, « il faudra faire des économies », « réformer », « s’adapter », « combattre les affreux conservatismes de ceux qui osent protester contre la suppression de tous les droits sociaux acquis par les luttes des deux derniers siècles ».
Mais revenons à la justice, institution qui a l’honneur de porter le nom d’une vertu.
Elle règle les litiges entre particuliers au civil et sanctionnent la violation des lois au nom de la société au pénal.
Les « libéraux » sont fortement tentés de privatiser les règlements des petits litiges, ce qui serait une source d’économies et la satisfaction de leur obsession.
C’est ainsi que les pensions alimentaires, présentement déterminées par le juge aux affaires familiales, pourraient relever de la compétence d’organismes non judiciaires et que la médiation s’imposerait sans cesse davantage.
Certes, il est bon qu’un conflit s’apaise et trouve une solution négociée, un arrangement étant souvent mieux vécu qu’une décision de justice.
Mais là aussi, l’objectif inavoué vise à assouvir l’addiction aux restrictions budgétaires, aux suppressions d’emplois, à la recherche de statuts précarisés qui est celui des médiateurs familiaux.
La France demeure plus que d’autres soumise à un régime monarchique qui ne satisfait guère au principe de la séparation des pouvoirs énoncé par MONTESQUIEU. L’exécutif domine les deux autres pouvoirs, le judiciaire n’étant ramené qu’à une simple autorité et le législatif étant amoindri par le pouvoir d’initiative des lois du gouvernement et par le fait que le mode de désignation des assemblées aboutit à une caricature grotesque, à l’existence d’une chambre d’enregistrement peuplée de petits soldats du président.
Cela est vrai aujourd’hui, mais l’était hier et tient au mode de scrutin et à la jonction des élections, celle des députés suivant celle du monarque électif.
Une évidence et non une opinion oblige de constater qu’il n’y a de démocratie crédible qu’avec un scrutin proportionnel intégral permettant à tous les courants de pensée d’avoir une représentation loyale, honnête et claire au sein de l’assemblée.
Avec le système actuel, un courant de pensée qui, par exemple, ne recueille que 24% des suffrages exprimés au premier tour de la présidentielle, soit 16% de la population, bénéficie d’une majorité absolue ramenant les oppositions à ne faire que de la figuration dans les instances politiques.
Pour masquer cette caricature, les tenants du système inique invoquent la nécessité de dégager des majorités stables, de conférer à un homme tous les pouvoirs pour mener à bien sa politique.
Dans ce cas, pourquoi ne pas supprimer les élections et avouer qu’un homme, à lui seul et sans partage, est le pouvoir en ce pays, sans contre-pouvoir, sans limite autre que la durée de son mandat ?
Ne serait-il pas temps de rétablir ici la démocratie et l’état de droit ?
Comment ?
En reconnaissant trois pouvoirs distincts qui se modèrent, se contrôlent et se limitent les uns les autres.
La justice doit refaire son unité en fondant les deux ordres judiciaires et administratifs, les chambres des comptes doivent avoir des pouvoirs accrus pour sanctionner les élus se livrant à des détournements de fonds au profit de lobbies et d’intérêts très privés.
Non, l’heure n’est nullement à ces réformes car le monde de l’argent a besoin d’un Etat fort garantissant non pas la liberté de pensée et de mode de vie, mais celle du commerce et de la spéculation.
Le leitmotiv, propagé par les communicants, sera donc : « il faut faire des économies ».

Gérard CHAROLLOIS