Protection/Des animaux et des hommes, un projet creusois

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Texte de la conférence donnée par Pierre CARAVANO - Administrateur de la Convention Vie et Nature

 

au Rotary d'AUBUSSON  le 20 Octobre 2012.



 

Les publications des grandes fondations écologistes (Green Peace, WWF, Gaia, Sea Shepherd…) nous permettent de mesurer les conditions planétaires catastrophiques que notre mode de vie industriel fait subir à la faune et à la flore.

Les associations de défense des animaux (SPA, 30 Millions d’Amis, PMAF, associations anti-corrida…) dénoncent les souffrances animales intolérables que les humains provoquent par leurs modes d’exploitations, leurs pratiques quotidiennes, leurs négligence ou leur cruauté…

Je retire pour ma part deux enseignements de ce panorama tragique :

1° Pire qu’une crise planétaire, nous vivons un échec de civilisation,

2° La nature et les animaux sont toujours les principales victimes des maux de notre société.

Gandhi a d’ailleurs écrit : « On mesure le degré de civilisation d’une société à la manière avec laquelle elle traite ses animaux ».

Effectivement, la souffrance animale me paraît être le révélateur de la « panne de progrès » qui caractérise ce début de XXIème siècle.

La notion de Progrès est occidentale. Elle apparaît au XVIIIème siècle avec la critique de l’Ancien Régime. Et elle prend un essor formidable au XIXème siècle, au fil des révolutions industrielles.

La notion de Progrès est la combinaison de 4 promesses :

Or trois de ces quatre promesses n’ont pas été tenues. Du coup la première – la promesse technologique – ne sert plus à grand-chose… Déjà les Indiens Apaches disaient  aux américains : « A quoi bon conquérir le monde si c’est pour y perdre son âme ? ».

Nous affrontons aujourd’hui simultanément le fondamentalisme religieux, le terrorisme, le choc des civilisations, la plus grande crise économique et sociale depuis 1929, la surpopulation, la violence urbaine, l’explosion de la toxicomanie, la pollution de l’atmosphère et des océans, la dérégulation climatique…

L’homme de progrès est devenu le prédateur de sa propre planète.

C’est bien un « échec de civilisation ».

Mais cet échec n’est pas que conjoncturel, il est aussi culturel.

La nature prédatrice de l’être humain est d’abord inscrite dans le monothéisme.

Le monothéisme est anthropocentrique.

Les commandements de la Genèse sont édifiants (Gn 9.2) « Vous serez un sujet de crainte et d'effroi pour tout animal de la terre, pour tout oiseau du ciel, pour tout ce qui se meut sur la terre ».

Le Dieu unique investit l’être humain de la toute puissance.

Contrairement à l’animisme, aux polythéismes, aux paganismes… les monothéismes excluent l’animal de la sphère religieuse, donc de la sphère spirituelle, donc de l’existence en tant que telle.

À l’influence du monothéisme s’ajoute à partir du XVIIème siècle celle de DESCARTES (1596-1650).

Depuis quatre siècles, la tradition philosophique occidentale se fonde sur le cartésianisme qui affirme la séparation de l’âme et du corps.

Le « cogito cartésien » (Cogito ergo sum ; je pense donc je suis) n’est pas une ode à l’autonomie spirituelle de l’individu. C’est simplement l’affirmation que l’« existence » ne réside que dans la pensée, c'est-à-dire que dans l’âme, c'est-à-dire que dans l’être humain…

Le fameux « cogito » de DESCARTES est fondé sur la séparation entre une âme pensante et un corps ne répondant qu’aux lois du mouvement.

Dès lors, si l’on sent notre corps exister, ou souffrir, c’est uniquement parce que nous avons une âme, qui, elle, est d’essence divine.

DESCARTES a écrit « Seule l’âme sent ». Seul l’être pensant peut ressentir et exister. Pour Descartes l’existence ne peut être accordée qu’à l’humain qui est d’essence divine, et le « vivant » n’existe pas.

Dès lors, les êtres vivants non humains sont assimilés à des automates privés d’âme et ne pouvant ressentir la souffrance.

C’est ainsi que DESCARTES invente sa théorie de l’ « animal-machine ».

Il affirme que les animaux sont des « machines » au sens premier du terme. Leurs cris, leurs gémissements ne peuvent être que le reflet de dysfonctionnements dans les « rouages ».

DESCARTES rend ainsi l’animal plus proche du végétal que de l’humain, (le végétal n’ayant pas de système nerveux).

On peut en conséquence traiter un animal comme on traite un végétal.

Les sciences biologiques ne parlent d’ailleurs pas de « douleur » pour les animaux, mais de « nociception ».

La « nociception » est un concept scientifique dont le seul objectif est nier le problème de la douleur animale pour faciliter ses multiples exploitations, y compris la vivisection.

Il faudra que Edmund HUSSERL (1869-1938) invente, au début du XXème siècle, la « phénoménologie » pour qu’une chance soit enfin donnée à l’animal d’être considéré comme un être sensible.

La phénoménologie c’est l’étude des « phénomènes », c'est à dire de ce qui se constate, indépendamment de tout préjugé moral ou religieux.

Cette philosophie restitue logiquement à l’animal la notion de « comportement » que le cartésianisme lui avait refusé.

Qui dit «comportement» dit «complexité, intériorité, liberté, émotion sensibilité, souffrance»…

On sait maintenant qu’on est en face d’un être sensible.

Et vis-à-vis d’un être sensible se pose immédiatement la question éthique du droit.

Certes, l’animal, privé du langage, ne peut pas revendiquer le droit pour lui-même.

Mais, est-ce une raison suffisante pour le lui refuser ?

Est-ce que l’embryon, le nouveau né, l’ handicapé mental, le malade en fin de vie, les générations futures, « revendiquent des droits » ?... Évidemment, non.

Pourtant non seulement nous leur en avons accordés, mais cette capacité à accorder des droits à ceux qui ne peuvent pas les revendiquer pour eux-mêmes est considérée comme une grande marque d’évolution.

Accorder des droits à la nature et aux animaux relèverait donc d’un devoir de l’humanité. Et ne pas le faire reviendrait à rétrécir la notion d’humanité.

J’en conclus que pour sortir de l’échec de civilisation dont je parlais tout à l’heure, nous devons résolument nous engager vers un humanisme du devoir et de la responsabilité qui consisterait à faire respecter les droits des plus faibles et des non humains, c'est-à-dire du « vivant » dans son ensemble.

Accorder au vivant le droit de vivre c’est refonder notre société.

Sur quelles bases devons nous penser cette refondation ?

Trois notions essentielles doivent être réintroduites dans les relations humaines : l’Autre, le lien, le don. Ces trois notions sont indissociables.

C’est dans la relation à « l'autre » que chacun peut enrichir son individualité.

Réapprendre l’autre, c’est s’oublier soi-même, c’est tisser des liens qui n’ont rien à voir avec l’intérêt ou le gain.

Qu’est ce qui prévaut dans ce lien ? C’est bien sûr le don. Savoir donner, savoir recevoir. Aucune socialisation ne peut exister sans cette part de gratuité que constitue le don.

Le sociologue Marcel MAUSS (1872-1950), considère le don comme le geste d’alliance fondateur d’une civilisation. Aujourd’hui, rien n’est plus urgent que de restaurer le sens du don.

Il se trouve justement, que la relation à l’animal est riche de ce lien et de ce don, qui font cruellement défaut entre les humains.

Il faudrait développer un programme pédagogique qui combinerait tous ces éléments dans une formule comme Découvrir les vertus psychologiques du lien et du don par une relation à l’animal et à la nature.

Quelles valeurs ou qualités fondatrices vont être développées par le biais de la relation avec l’animal ? La fidélité, la reconnaissance, la proximité, l’intimité, la simplicité, la compassion, le dévouement, la prise en charge d’autrui, la ponctualité, l’assiduité, la régularité, la responsabilité, la persévérance, la douceur, la confiance, la sérénité, la patience, le langage des sons, le langage du corps, le langage des gestes…

C'est-à-dire tout ce qui constituait la 4ème promesse du Progrès occidental, la « promesse philosophique » qui n’a pas été tenue.

Après l’échec du théocentrisme et de l’anthropocentrisme, c’est le « biocentrisme » qui ouvre un ultime avenir à l’humanité.

Le biocentrisme, signifie que l’important c’est le Vivant.

Et que le respect du vivant et le rejet de la souffrance doivent désormais présider à nos valeurs et à nos actes.

C’est la théorie de CVN, la Convention Vie et Nature.