La science bafouée par la campagne républicaine aux États-Unis

La nature et l'animal sont au centre des préoccupations de CVN qui est la seule association à les associer étroitement. Or deux découvertes dominent la science actuelle car elles ont des implications cruciales pour la compréhension de l'homme et l'avenir de l'humanité. Il s'agit de la théorie de l'évolution et celle du réchauffement global qui se révèlent avec l'avancée des connaissances des faits plus que des hypothèses.
Darwin a découvert que nous avons une origine animale ce qui est maintenant admis par la plupart des gens cultivés, bien qu'il reste encore à accepter ce qu'il en déduisait : "il n'y a pas de différence de nature mais de degré entre l'homme et les autres espèces"... En ce qui concerne le changement climatique, ceux qui le niaient récemment comme Claude Allègre, toujours membre de l'Académie des Sciences, font profil bas, l'origine anthropique de ce phénomène étant reconnue par les scientifiques aujourd'hui.
Pourtant, comme le montre cet article, la moitié de la population des USA pratique la politique de l'autruche et continue à nier à la fois l'évolution pour raison religieuse et le changement climatique pour raison économique. Les prochaines élections présidentielles décideront quelle moitié continue à mener le monde.

Pierre JOUVENTIN.


 

Le parti Républicain américain a lentement mais sûrement divorcé de la science, en particulier sous l'ère Bush. Par exemple, vous vous souvenez peut-être de ce moment d'anthologie des primaires républicaines de 2007, où 3 candidats disaient ne pas croire à l'évolution.
À l'époque, on aurait presque pu croire à un calcul un peu politique pas forcément très sincère, visant à galvaniser une base hyper-conservatrice. Puis il y a eu cette déclaration de Sarah Palin, voulant couper les financements des chercheurs étudiant "la mouche du fruit. En l'occurrence, il s'agissait en fait de financer un laboratoire de l'USDA basé en France, travaillant sur une mouche de l'olive qui commence à faire de nombreux dégâts en Californie, alors qu'elle est connue en Europe depuis des années.

 

You’ve heard about some of these pet projects they really don’t make a whole lot of sense and sometimes these dollars go to projects that have little or nothing to do with the public good. Things like fruit fly research in Paris, France. I kid you not.
On entend parler de ces projets pistonnés qui n’ont aucun sens, parfois l’argent va à des projets qui n’ont quasiment rien à voir avec l’intérêt général. Des trucs comme la recherche sur la mouche du fruit à Paris, en France. Sans déconner !
Depuis 2008, sous l'influence du Tea Party, on a parfois le sentiment qu'un nouveau pic a été atteint, avec le glissement général à droite du parti républicain. Le célèbre humoriste Steven Colbert avait forgé le terme de "truthiness" pour décrire la logique des politiques de l'ère Bush. La "truthiness", qu'on pourrait traduire par "véritabilité", c'est ce qui DOIT être vrai parce qu'on le sent avec ses tripes ou son cœur. C'est donc le contraire d'un raisonnement construit. Et voilà qu'aujourd'hui la vision républicaine de la Science est imprégnée de "truthiness". Les luttes créationnistes l'avaient probablement préfiguré, les débats sur le réchauffement climatique l'ont cristallisé et généralisé. Désormais, on dépasse l'ignorance simple de la science, il s'agit de systématiquement critiquer et contester tout résultat scientifique qui ne correspond pas au sens commun, voire de fabriquer ses propres résultats.
L'épisode récent particulièrement odieux du candidat au Sénat pour le Missouri Todd Akin, dissertant sur les moyens que posséderait le corps féminin pour "empêcher la fécondation" en cas de "viol véritable", offre un exemple assez frappant. Le discours n'est pas simplement idéologique, religieux ou moral, il est sous-tendu par des arguments scientifiques absurdes comme quoi le viol créerait tellement de stress qu'il ne peut donner lieu à une grossesse. On trouve effectivement des médecins pour émettre ces théories, qui peuvent alors servir de support légitime à cette "truthiness" scientifique. Dans le même ordre d'idée, d'étranges campagnes anti-vaccination se sont multipliées ces derniers temps, relayées par des poids-lourds médiatiques. Le motif ? La vaccination déclencherait l'autisme (voir par exemple ce qu'en dit Donald Trump). Et quand le candidat Romney affirme soutenir la recherche fondamentale, il donne comme exemple celui de la “fusion froide”, un probable canular né dans son État d’origine (l’Utah) il y a plus de 20 ans et sans suite à ce jour !
Le magasine Wired a relevé ce mouvement de fond il y a déjà 3 ans et n'a pas hésité à parler de "Guerre contre la Science". Ce qui a provoqué ce tweet ironique et désabusé du candidat à la primaire républicaine Jon Huntsman :
To be clear. I believe in evolution and trust scientists on global warming. Call me crazy!
Mise au point. Je crois dans l'évolution et fais confiance aux chercheurs sur le réchauffement climatiques. Traitez moi de fou !
Huntsman fut bien sûr humilié lors de la primaire républicaine, régulièrement classé dernier dans les sondages, sauf… chez les sympathisants démocrates !
La contestation de la science passe en fait par :
1.    1. la mise en doute de l'expert scientifique
2.    2. la construction d'une véritable alterscience, avec tous les attributs de la science : instituts, publications, conférences.
Là encore, les pionniers ont été les créationnistes du Discovery Institute, fondé au début des années 1990. Le Heartland Institute, think tank conservateur, s'est focalisé ces dernières années sur le réchauffement climatique et a organisé pas moins de 7 conférences sur le sujet entre 2008 et 2012, invitant des climato-sceptiques renommé. Les frères Koch ont offert des bourses de recherche spéciales, visant à réfuter le réchauffement climatique — comme l'initiative modestement appelée BEST qui, ironie de l'histoire, a fini pourtant par confirmer la réalité des causes anthropiques du changement climatique. Même au plus haut niveau, le ver a pénétré dans le fruit : ainsi, même les membres républicains (dont Akin) du comité Sciences et Technologies de la maison des Représentants se distinguent par des positions anti-science et le New York Times lui-même n'hésite plus à parler de "crackpot", ou charlatanisme.
Cette semaine, le parti républicain a publié son programme pour la science. Des difficultés sont à prévoir pour la recherche : coupe budgétaire de 5%, place plus grande aux partenaires "privés" au détriment des agences gouvernementales… (voir à ce sujet les réponses de Romney à ScienceDebate 2012, le pendant de notre initiative Votons pour la science). On peut justement se demander si une telle politique ne serait pas du pain bénit pour les contestataires de la Science officielle, financé par divers lobbies, qui s'attaqueront aux niches occupées par les Instituts Fédéraux. Paul Ryan, le co-listier de Mitt Romney, a aussi un passif impressionnant dans le domaine, votant par exemple contre de nombreuses réglementations environnementales.
Dès lors, il n'est pas impossible qu'on entende parler plus de science que d'habitude durant cette campagne américaine : en contestant les méthodes et résultats scientifiques, le parti républicain a fait d'elle un enjeu politique (comme un autre ?). Ainsi Scott Tipton, républicain membre du Tea Party, vient de refuser de se prononcer sur les causes anthropiques du changement climatique, au motif que cela "diviserait l'Amérique". Romney, dans ses réponses à ScienceDebate 2012, affirme d’abord qu’il croit au réchauffement climatique, avant de rétropédaler de façon impressionnante, reprenant l’idée que les données ne sont pas claires et qu’il y aurait controverse. Romney poursuit de façon très intéressante en affirmant que la science n’est qu’un “input” parmi d’autres dans la décision politique, et en rejetant l’idée d’une politique de baisse d’émission du CO2 aux Etats-Unis alors que la Chine et les pays en voie de développement en rejettent de plus en plus… Romney prend le réchauffement climatique tellement au sérieux qu’il est allé jusqu'à blaguer sur le fait qu’Obama voulait empêcher les océans de monter.
Bien sûr, Obama aura beau jeu de défendre la science et les scientifiques. Dans son discours d’investiture, il a ainsi promis l’embauche de 100 000 (!) professeurs de maths et de science dans le primaire et le secondaire. Proclamer comme il l’a fait que le réchauffement climatique n’était pas “un hoax”, en Caroline du Nord — État fameux pour avoir voulu interdire la modélisation de la montée des eaux — sonne comme une réponse à la blague de Romney. Mais le grand public suivra-t-il toujours une science perçue désormais comme idéologisée ?
On peut donc légitimement s'inquiéter de l'avenir de la recherche scientifique américaine si Mitt Romney est élu. Il est probable que nombre de ces organismes “alterscientifiques” gagneraient en audience et en réputation, semant davantage la confusion dans le grand public en légitimant encore plus la fausse science et ses pseudo-raisonnements. Il y aurait aussi des effets plus directs : outre les coupes dans les dépenses, le programme républicain prévoit l'interdiction pure et simple de l'avortement. Un républicain élu et cohérent devrait alors nécessairement interdire purement et simplement toute recherche sur les cellules souches embryonnaires, ce qui irait beaucoup plus loin que la doctrine Bush (qui interdisait la seule recherche financée par des fonds fédéraux mais autorisait celle financée par des fonds privés).
Pour cette fois, on peut penser raisonnablement (espérer ?) qu'Obama va être réélu, mais l'alternance aura lieu un jour. Si le parti républicain continue sur sa lancée, la plus grande puissance scientifique du monde risque de se lier les mains et de fortement décliner, et il n'est pas clair pour moi que d'autres pays prendront sa place en période de crise généralisée.

 


Tom Roud.

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