L’Animal-Machine

Jeudi 12 janvier 2012

L’ANIMAL-MACHINE

par Pierre JOUVENTIN;

Histoire des idées : LA QUERELLE SUR L’AME DES BETES

‘Ecoutez des bêtes raisonnant sur des bêtes’ Voltaire

100 PLUTARQUE (L’intelligence des animaux) : « Bien des animaux l’emportent sur l’homme. Que ce soit par la taille, la rapidité à la course, l’acuité visuelle ou la finesse de l’ouïe. Il ne s’ensuit pas pour autant que les hommes soient aveugles, boiteux ou sourds. Alors, n’allons pas refuser aux bêtes, sous prétexte que leur intelligence est moins déliée… toute capacité intellectuelle. »

1580 MONTAIGNE (Essais) : « Nous vivons et eux et nous sous même toit et humons un mesme air : il y a, sauf le plus et le moins, entre nous une perpétuelle ressemblance…J’enchérirais volontiers sur Plutarque et dirais qu’il y a plus de différence de tel à tel homme que de tel homme à telle bête…. Les merles, les corbeaux, les pies, les perroquets, nous leur apprenons à parler : et cette facilité, que nous reconnaissons à nous fournir leur voix…témoigne qu’ils ont un discours au-dedans, qui les rend ainsi disciplinables et volontaires à apprendre…C’est par une fierté vaine et opiniâtre que nous nous préférons aux autres animaux…Nous ne sommes ny au-dessus ny au-dessous du reste…C’est par vanité de cette même imagination qu’il[l’homme] s’égale à Dieu, qu’il se trie soi-même et sépare de la presse des autres créatures. »

1637 DESCARTES (Discours de la méthode) : « S’il y avait de telles machines, qui eussent les organes et la figure d’un singe, ou de quelque autre animal sans raison, nous n’aurions aucun moyen pour reconnaître qu’elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux…Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu’elles n’en ont point du tout... Après l’erreur de ceux qui nient Dieu, il n’y en a point qui éloigne plutôt les esprits faibles du droit chemin de la vertu, que d’imaginer que l’âme des bêtes soit de même nature que la nôtre, et que par conséquent, nous n’avons rien à craindre, ni à espérer, après cette vie, non plus que les mouches et les fourmis ; au lieu que, lorsqu’on sait combien elles différent, on comprend mieux les raisons, qui prouvent que la nôtre est d’une nature entièrement dépendante du corps et, par conséquent, qu’elle n’est point sujette à mourir avec lui… »

1641 GROUPE DE THEOLOGIENS (Objections aux méditations métaphysiques de Descartes) : « …si la faible raison des bêtes diffère de celle de l’homme, ce n’est que par le plus et le moins, qui ne change point la nature des choses ».

1644 GASSENDI (Recherches métaphysiques ou doutes et instances contre la métaphysique de Descartes et ses réponses) : « …l’homme, encore qu’il soit le plus parfait des animaux, n’est cependant pas en dehors du nombre des animaux ».

1646 DESCARTES (Lettre à William Cavendish) : « ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent. Et on ne peut dire qu’elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas ; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s’ils en avaient… Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m’en étonne pas ; car cela même sert à prouver qu’elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est, que notre jugement ne nous l’enseigne…Si elles pensaient ainsi que nous, elles auraient une âme immortelle aussi bien que nous ; ce qui n’est pas vraisemblable, à cause qu’il n’y a point de raison de la croire de quelques animaux sans le croire de tous, et qu’il y en a plusieurs trop imparfaits pour pouvoir croire cela d’eux, comme sont les huîtres, les éponges ».

1648 MORE (Lettre à Descartes) : « De toutes vos opinions sur lesquelles je pense différemment de vous, je ne sens pas une plus grande révolte dans mon esprit, soit mollesse ou douceur de tempérament, que sur le sentiment meurtrier et barbare que vous avancez dans votre Méthode, et par lequel vous arrachez la vie et le sentiment à tous les animaux…Pourquoi, lorsqu’un chien pressé par la faim a volé quelque chose, s’enfuit-il, et se cache-t-il comme sachant qu’il a mal fait, et marchant avec crainte et défiance, ne flatte personne en passant, mais se détournant de leur chemin, cherche la tête baissée un lieu écarté, usant d’une sage précaution, pour n’être pas puni de son crime ? Comment expliquer cela sans un sentiment intérieur ?...Mais dites-moi, je vous prie, monsieur, puisque votre démonstration vous conduit nécessairement, ou à priver les bêtes de tout sentiment, ou à leur donner l’immortalité, pourquoi aimez-vous mieux en faire des machines inanimées, que des corps remués par des âmes immortelles... il n’y a rien qui puisse confirmer davantage tous les platoniciens dans leur sentiment sur l’immortalité de l’âme des bêtes, que de voir un aussi grand génie que le vôtre réduit à n’en faire que des machines insensibles de peur de les rendre immortelles. »

1656 PASCAL (Pensées) : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant… Il est dangereux de trop faire voir à l’homme combien il est égal aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur…Il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes, ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre. »

1660 BARY (Philosophie accommodée à l’intelligence des dames) : « Quelques autres disent que les bêtes agissent par instinct et par conséquent qu’elles sont irraisonnables. La proposition est trop vaste, et la conclusion n’est pas assez juste. Il y a dans les enfants une faculté qui est distincte de l’instinct, c’est-à-dire de cette impression secrète qui les porte à téter, et à faire plusieurs autres choses qu’ils n’ont pas apprises. Il y a aussi dans les bêtes une puissance qui est différente de la lumière avec laquelle elles sont créées, et comme par la faculté qui est distincte de l’instinct, les enfants apprennent à chanter, à jouer du luth, et à former cent autres habitudes, par la même faculté aussi les bêtes apprennent à danser, à battre du tambour, et à contracter cent autres gentillesses…Je n’ai rien à répondre à cela si ce n’est que la raison est répandue dans la plupart des actions bestiales, que l’Histoire des animaux est remplie d’un nombre incalculable de ruses, et que c’est avoir une fausse idée de la raison que de combattre la raison des bêtes. »

1675 LA FONTAINE (Fables) : « …qu’un Cartésien s’obstine/A traiter ce Hibou de montre et de machine !... Qu’on m’aille soutenir, après un tel récit,/Que les bêtes n’ont point d’esprit/Pour moi, si j’en étais le maître,/Je leur en donnerais aussi bien qu’aux enfants…J’attribuerais à l’animal/Non point une raison selon notre manière,/Mais beaucoup plus aussi qu’un aveugle ressort…. ».

1712 FENELON (Traité de l’existence de Dieu) : « Certains animaux paraissent faits pour l’homme. Le chien est né pour le caresser ; pour se dresser comme il lui plaît ; pour lui donner une image agréable de société, d’amitié, de fidélité et de tendresse ; pour garder tout ce qu’on lui confie ; pour prendre à la course beaucoup d’autres bêtes avec ardeur, et pour les laisser ensuite à l’homme sans en rien retenir…L’homme est le seul de tous les animaux qui est droit sur ses pieds. Par là il a une noblesse et une majesté qui le distingue, même au-dehors, de tout ce qui vit sur la terre. Non seulement sa figure est plus noble, mais il est le plus adroit de tous les animaux à proportion de sa grandeur… le corps de l’homme, qui paraît le chef d’oeuvre de la nature, n’est point comparable à sa pensée. »

1734 VOLTAIRE (Lettres philosophiques) : « D’abord le mot d’âme a signifié la vie, et a été commun pour nous et pour les autres animaux, ensuite notre orgueil nous a fait une âme à part et nous a fait imaginer une force substantielle pour les autres créatures. Cet orgueil humain me demandera ce que c’est donc que ce pouvoir d’apercevoir et de sentir, qu’il appelle une âme dans l’homme, et un instinct dans la brute…Tout ce que je sais, c’est que je ne dois pas attribuer à plusieurs causes, surtout à des causes inconnues, ce que je puis attribuer à une cause connue : or, je puis attribuer à mon corps la faculté de penser et de sentir ; donc, je ne dois pas chercher cette faculté dans un autre être appelé âme, ou esprit, dont je ne puis avoir la moindre idée. »

1740 HUME (Sur la raison des animaux) : « ... aucune vérité ne m’apparaît plus évidente que le fait que les bêtes sont dotées de la pensée et de la raison aussi bien que les hommes. »

1745 POLIGNAC (De l’anti-Lucrèce, poème sur la religion naturelle) : « Les actions mêmes qui sont naturelles aux animaux, ils les font souvent avec si peu d’intelligence, qu’on y découvre plutôt leur stupidité, que ce génie dont vous croyez apercevoir en eux des traces si frappantes. Tous les chiens, par exemple, ne manquent jamais de faire trois tours avant de se coucher : sans doute ils prétendent en foulant leur lit, l’aplanir, afin de reposer plus commodément ; du moins telle paraît être leur idée. Cependant ils feront la même chose sur la pierre, sur le marbre le plus dur. »

1748 LA METTRIE (L’Homme-plante) : « C’est par cette qualité si supérieure de l’âme humaine, par ce surplus de lumières, qui résulte visiblement de l’Organisation, que l’Homme est le Roi des Animaux, qu’il est le seul propre à la Société, dont son industrie a inventé les Langues, et sa Sagesse, les Lois et les Mœurs. »

1749 BUFFON (Histoire naturelle. De la nature de l’homme) : « L’homme est un être raisonnable, l’animal est un être sans raison ; et comme il n’y a point d’êtres intermédiaires entre l’être raisonnable et l’être sans raison, il est évident que l’homme est d’une nature entièrement différente de celle de l’animal, qui ne lui ressemble que de l’extérieur, et que le juger par cette ressemblance matérielle, c’est se laisser tromper par l’apparence, et fermer volontairement les yeux à la lumière qui doit nous la faire distinguer de la réalité » .

1754 ROUSSEAU (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes) : « Je ne vois dans tout animal qu’une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu’à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger… Tout animal a des idées puisqu’il a des sens, il combine même ses idées jusqu’à un certain point, et l’homme ne diffère à cet égard de la Bête que du plus ou du moins… ».

1755 CONDILLAC (Traité des animaux) : « Il serait peu curieux de savoir ce que sont les bêtes, si ce n’était un moyen de connaître mieux ce que nous sommes... Il y a dans les bêtes ce degré d’intelligence que nous appelons instinct, et dans l’homme, ce degré supérieur que nous appelons raison ... Notre âme n’est donc pas de même nature que celle des bêtes ».

1756 MAUPERTUIS (Lettre VI, Du droit sur les bêtes) : « Si les bêtes étaient de pures machines, les tuer serait un acte moralement indifférent, mais ridicule : ce serait briser une montre. »

1764 VOLTAIRE (Dictionnaire philosophique) : « Des barbares saisissent ce chien, qui l’emporte si prodigieusement sur l’homme en amitié ; ils le clouent sur une table, et ils le dissèquent vivant pour te montrer les veines masaraïques. Tu découvres dans lui tous les mêmes organes de sentiment qui sont en toi. Réponds-moi, machiniste, la nature a-t-elle arrangé tous les ressorts du sentiment dans cet animal, afin qu’il ne sente pas ? A-t-il des nerfs pour être impassible ? Ne suppose point cette impertinente contradiction dans la nature. »

1769 DIDEROT (Entretien entre d’Alembert et Diderot) : « Tout animal est plus ou moins homme…Cet animal se meut, s’agite, crie…Prétendrez-vous avec Descartes, que c’est une pure machine imitative ? Mais les petits enfants se moqueront de vous, et les philosophes vous répliqueront que si c’est là une machine, vous en êtes une autre. »

1781 LEROY (Lettres philosophiques sur la perfectibilité et l’intelligence des animaux) : « M. de Buffon n’a été induit à rapporter tous ces actes à un mécanisme aveugle que par la crainte que trop de parité entre les animaux et l’homme ne conduisît à des conséquences dangereuses ».

1789 BENTHAM (Introduction aux principes de la morale et de la législation) : « Les français ont déjà réalisé que la peau foncée n’est pas une raison pour abandonner sans recours un être humain aux caprices d’un persécuteur. Peut-être finira-t-on un jour par s’apercevoir que le nombre de jambes, la pilosité de la peau ou l’extrémité de l’os sacrum sont des raisons tout aussi insuffisantes d’abandonner une créature sensible au même sort. Quoi d’autre devrait tracer la ligne de démarcation ? Serait-ce la capacité de raisonner, ou peut-être la faculté du langage ? Mais un cheval parvenu à maturité ou un chien est par delà toute comparaison, un animal plus sociable et plus raisonnable qu’un nouveau-né âgé d’un jour, d’une semaine ou même d’un mois. Mais supposons qu’il en soit autrement, à quoi cela nous servirait-il ? La question n’est pas : peuvent-ils raisonner ? Ni peuvent-ils parler ? Mais bien : peuvent-ils souffrir ? ».

1793 LINNE (Système de la nature) : « L’HOMME, doué de sagesse, le plus parfait ouvrage de la Création, et son dernier et principal objet, portant en lui des indices étonnants de la Divinité, habite la surface de la terre ; il juge d’après l’impulsion des sens du mécanisme de la nature, il est capable d’en admirer la beauté, et doit au Créateur son juste tribut d’adoration. »

1871 DARWIN (La descendance de l’homme et la sélection sexuelle) : « On peut évidemment admettre qu’aucun animal ne possède la conscience de lui-même si l’on implique par ce terme qu’il se demande d’où il vient et où il va, qu’il raisonne sur la mort ou sur la vie, et ainsi de suite. Mais, sommes-nous bien sûrs qu’un vieux chien, ayant une excellente mémoire et quelque imagination, comme le prouvent ses rêves, ne réfléchisse jamais à ses anciens plaisirs, à la chasse ou aux déboires qu’il a éprouvés ? Ce serait là une forme de conscience de soi. …si les facultés mentales de l’homme différent immensément en degré de celles des animaux qui lui sont inférieurs, elles n’en différent pas quant à leur nature. Une différence en degré, si grande qu’elle soit, ne nous autorise pas à placer l’homme dans un règne à part. »

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