La souffrance animale, une spécialité française ?


par Pierre Jouventin biologiste, éthologue, spécialiste des oiseaux et des mammifères


Une crise identitaire est en gestation depuis plusieurs années dans notre pays. Elle touche non à la couleur de peau ou à la religion, mais à la définition de l’humain.

Ce n’est pas un problème d’espaces comme à Notre-Dame-des-Landes, mais d’espèces ; pas un débat sur l’écologie, mais sur ses compléments, l’éthologie et l’éthique. Cette crise sociale est complétement ignorée ou niée par la plupart des élus. Je veux parler de la cause animale considérée par le gouvernement comme une mode sectaire et minoritaire.
La sociologie de notre pays s’est inversée en un demi-siècle : les citadins et néoruraux sont devenus largement dominants et cette majorité continue à croître. Mais les ruraux sont mieux représentés que les citadins, en particulier au Sénat.

En conséquence, les élus prennent beaucoup mieux en compte les revendications émanant de groupes sociaux de plus en plus minoritaires comme les agriculteurs et les éleveurs, alors qu’ils négligent et méprisent les valeurs montantes, mais non politisées, de la jeunesse, où les amis des bêtes et les vegans prolifèrent...

Chasseurs courtisés

La chasse constitue un bon exemple de ce décalage culturel qui s’amplifie entre la rue et les politiques, entre la ruralité d’antan et les nouvelles aspirations sociales : elle concerne moins de 2% de la population française quand son groupe parlementaire compte trois fois plus de participants que les autres.

Cette catégorie sociale vieillissante et décroissante est riche, puissante et courtisée par les partis. Alors que les autres usagers de la nature (randonneurs par exemple) sont 30 fois plus nombreux, les chasseurs français ont obtenu plus d’avantages que dans n’importe quel autre pays :

-   dates de chasse et liste des espèces chassables constamment élargies ;
-    conventions officielles des fédérations de chasse avec l’Education nationale pour enseigner la gestion de la faune et l’écologie dans les établissements scolaires ;
-   absence de dimanche sans chasse (tous les jours de la semaine sont chassables en France à la discrétion du maire, ce qui est unique et explique notre record d’accidents de chasse) ;
-   suppression du périmètre interdit à la chasse de 200 m autour des maisons ;
-   contrôle par les chasseurs du conseil d’administration de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, etc.

La ferme aux 16 00 singes

En ce moment, les pétitions pour la cause animale fleurissent sur les réseaux sociaux devenus le refuge de la démocratie bâillonnée. Elles concernent les expérimentations animales (pour les moins invasives, il s’agit de tests pharmaceutiques et cosmétologiques) :

-  premier conflit sur le commerce des primates : le transport par Air France des singes a été fermement défendu par le ministère des Transports alors qu’il est interdit dans un nombre croissant de compagnies aériennes (Lufthansa, British Airlines, Air Canada, Air China, United Airlines, etc) ;

-  deuxième commerce d’un autre temps : près de Strasbourg, un centre d’élevage demande à passer à la dimension industrielle avec 1 600 singes qui seront enfermés dans un fort. Le préfet a autorisé l’extension, avec en prime l’autorisation d’y enfermer des représentants d’une famille de lémuridés menacée d’extinction ! Une pétition pour s’opposer à ce camp de la mort pour primates a déjà récolté 50 000 signatures.


L’animal est-il une personne ?

Rappelons que, pour la science, notre espèce fait partie de ce même groupe
des primates, la différence génétique entre les chimpanzés et nous étant à peine supérieure à 1%. L’éthologie et la neurobiologie ont abondamment démontré que les singes pensent, ressentent les douleurs et les émotions comme nous.

Il y a 150 ans déjà, Charles Darwin écrivait qu’entre notre espèce et les autres, la différence n’est pas de nature mais de degré… Ce problème éthique n’est bien sûr pas évoqué par les sociétés qui font commerce du transport et de l’élevage de ces singes destinés à l’enfermement et à la vivisection, pas plus que par les autorités qui, à la fois, nous représentent et justifient ces pratiques.

Le directeur adjoint d’Air France a répliqué au collectif baptisé Air Souffrance par l’argument classique des vies humaines épargnées par les expériences médicales. Cet argument d’autorité se discute aujourd’hui : des méthodes de substitution moins coûteuses et plus morales sont de plus en plus mises au point, chaque espèce étant différente des autres.

Deux exemples : la thalidomide avait été testée sans problème sur des singes avant de provoquer des malformations chez les nouveau-nés humains ; le sida ne peut être transmis à nos proches parents, les chimpanzés, car ils sont naturellement immunisés !
Faut-il rétablir l’esclavage ?

L’argument économique paraît plus solide car Air France Cargo est devenu l’unique avionneur européen acceptant les animaux d’expérience. Même monopole pour le projet strasbourgeois : les pays qui autorisent des centres d’élevage de primates pour l’expérimentation deviennent rares car les populations des pays développés y sont de plus en plus hostiles.

Notre pays, longtemps rural, était très en retard dans le domaine de la compassion et de l’éthique animale, surtout par rapport aux pays nordiques et anglophones ; il est en train de le rattraper, comme le prouve le succès actuel des livres de Matthieu Ricard ou de Franz-Olivier Giesbert.

Le pays des droits de l’homme doit-il régresser pour devenir le refuge des commerçants d’animaux de laboratoires parce que nos élus toujours cartésiens considèrent, contre l’avis de la rue, les singes non comme des cousins mais comme des objets à exporter ? Doit-il faire de la souffrance animale une spécialité française, comme le foie gras, pour faire entrer des devises ? Faut-il rétablir l’esclavage parce que c’était une tradition qui rapportait gros ?
Le statut de l’animal refusé... puis accepté

Ne désespérons pas : au retour du texte à l’Assemblée nationale, les députés viennent d’accepter le nouveau statut de l’animal malgré l’avis négatif des sénateurs...

Alors que le code civil considérait toujours l’animal comme un objet, le projet de réforme de son statut dans le droit français visait à harmoniser les différents codes actuellement incohérents sur ce sujet. Il s’agissait simplement de les requalifier en tant qu’« êtres vivants doués de sensibilité », ce qui paraissait légitime à la plupart et avait été voté par la Chambre de députés.

C’était encore trop demander aux sénateurs (dont un tiers a plus de 71 ans malgré un récent rajeunissement) : la reconnaissance de l’animal comme être sensible a tout de même été rejetée par le Sénat, dont on se demande s’il est seulement coûteux et inutile ou s’il est nuisible. Les députés, qui avaient le dernier mot sur le texte, ont finalement voté en faveur de ce statut ce mercredi 28 janvier.

C’est une bonne chose. Car après la défense des esclaves, des Noirs, des femmes, des enfants, des homosexuels et autres minorités discriminées, le combat du futur semble celui de la cause animale. C’est à mes yeux le plus fondateur pour définir ce qui est humain.

Cette crise d’identité sociale et culturelle ne provoquera probablement pas d’assassinats comme celle que nous venons de vivre car les militants de la condition animale sont des non-violents. Mais, devant cette surdité des autorités qui sont surprises et scandalisées par les contestations montantes, on peut craindre des heurts violents comme à Sivens, par exemple, entre forces de l’ordre et manifestants anti-corrida. Nos élus répéteront que c’était imprévisible.

PJ.


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