Texte...de François CAVANNA

25/01/07
Présentation :

A une époque où l'on commence à craindre pour nous-mêmes, sans doute est-il juste et urgent de réfléchir à ce que nous aurions dû craindre pour les autres espèces...et que nous devons craindre encore...car il n'est jamais trop tard, ce texte (1979)beau et riche de François CAVANNA vient à point nous le rappeler.

[Ce texte est celui paru dans le dernier bulletin du CRAC.]
Jean-Claude Hubert
Secrétaire Général de la CVN.

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Les passagers de la Planète Terre


Avoir davantage pitié des bêtes que des hommes, c’est pas très bien vu
chez les hommes. C’est considéré comme une sorte de désertion, de
trahison, voire de perversion ou d’infirmité mentale. Mais bon dieu,
nous sommes hommes par hasard. Tant mieux, j’aime bien comprendre le
monde. Et c’est justement parce que je suis homme que je puis
transcender cet instinct grégaire, irréfléchi, purement animal qui fait
se serrer les coudes aux hommes, les incite à diviniser l’homme
par-dessus toute créature. Réflexe spontané, réflexe normal. Normal chez
une oie, chez un phoque, chez un hareng. Un homme devrait aller plus
loin. C’est parce que j’essaie d’être vraiment, pleinement homme,
c’est-à-dire une bête avec un petit quelque chose en plus, que je mets
sur un pied d’égalité ce qui est homme et ce qui ne l’est pas.
M’emmerdez pas avec votre st françois d’assise, j’ai pas de paradis à
gagner. Mon amour des bêtes est bien autre chose qu’un attendrissement
devant le mignon minet, bien autre chose qu’une lamentation devant les
espèces,j’m’en fous, je ne suis pas collectionneur d’espèces, des
millions d’espèces ont disparu depuis que la première lave s’est figée.
Seuls m’intéressent les individus. Mon horreur du meurtre, de la
souffrance, du saccage, de la peur infligée fait de ma tranche de vie
une descente aux enfers. Nous tous, les vivants, ne sommes-nous donc pas des
passagers de la même planète ? l’homme n’a pas besoin de ma pitié : il a
largement assez de la sienne propre. S’aime-t-il le bougre ! la
littérature, la religion, la philosophie, la politique, l’art, la
publicité, la science même n’intéressent les hommes que lorsqu’ils les
mettent au premier plan, tous ne sont qu’exaltation de l’homme,
incitations à aimer l’homme, déification de l’homme. Les bêtes n’ont
pas, si j’ose dire, la parole. Elles n’ont pas d’avocat chez les hommes.
Elles ne sont que tolérées. Tolérées dans la mesure où elles sont
utiles, ou jolies, ou attendrissantes. Ou comestibles. Les hommes les
ont ingénieusement classées en animaux « utiles » et animaux « nuisibles
». utiles ou nuisibles pour les hommes, ça va de soi. Les chinois ont
patiemment détruit les oiseaux parce qu’ils mangeaient une partie du riz
destiné aux chinois. De quel droit les chinois sont-ils si nombreux
qu’il n’y a plus de place pour les oiseaux ? du droit du plus fort, hé
oui ! voilà qui est net ! ne venez plus m’emmerder avec votre
supériorité morale. Ni avec vos bons dieux, faits à l’image des hommes,
par les hommes, pour les hommes. Si les petits cochons atomiques ne
mangent pas l’humanité en route, il n’existera bientôt plus la moindre
bête ni la moindre plante « nuisible » ou « inutile ». le travail est
déjà bien avancé et le mouvement s’accélère. La mécanisation libèrera
-peut-être- l’homme du travail « servile ». elle a déjà libéré le cheval
: il a disparu. On n’a plus besoin de lui pour tirer la charrue, il
n’existe quasiment plus à l’état sauvage, adieu le cheval. Oui, on en
gardera quelques-uns, pour jouer au dada, pour le tiercé, pour le ciné,
pour la nostalgie. L’insémination artificielle a déjà réduit l’espèce «
bœuf » à ses seules femelles. Un taureau féconde -par la poste- des
millions de vaches. Oui, on s’en garde quelques-uns pour les corridas,
spectacle d’une « bouleversante grandeur » où l’homme, intelligence «
sublime », affronte la bête, les yeux dans les yeux … oui, on se garde
quelques faisans, quelques lapins, quelques cerfs … pour la chasse. On
se garde quelques éléphants pour que les petits merdeux aillent les voir
dans les zoos, et quelques autres dans des bouts de savane pour que les
papas des merdeux aillent y faire des safaris-photos après le déjeuner
d’affaires. Pourquoi je m’énerve comme ça ? parce que je les voudrais
semblables à ce qu’ils se vantent d’être, ces tas : un peu plus, un peu
mieux que les autres bêtes. Mais non, ils le sont, certes, mais pas
assez. Pas autant qu’ils croient. A mi-chemin. Et à mi-chemin entre ce
qu’est la bête et ce que devrait être l’homme, il y a le con. Et le con
s’octroie sans problème la propriété absolue de la Terre et de tout ce
qui vit dessus, et même l’univers entier, tant qu’une espèce plus forte
ou plus avancée techniquement mais tout aussi con ne l’aura traité
lui-même comme il traite ce qui lui est « inférieur ».
« inférieur ». rien que ce mot ! il y a même toute une hiérarchie.

François Cavanna

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