L’animal humain a peur de la nature.

Parmi toutes les ruptures de civilisation qu’accompagnent notre époque, celle avec la nature passe inaperçue tant elle est généralisée.
Nos contemporains vivent dans un espace totalement artificialisé, un monde de béton, d’acier et de verre, orné de bâtiments, de routes, de super-marchés, de zones artisanales et lorsqu’ils quittent leur  univers étriqué, ils se tassent dans des moyens de transports qui les emmènent vers des parcs à touristes également surpeuplés.
Nos contemporains baignent dans le bruit, la pollution lumineuse nocturne, la promiscuité, un environnement urbanisé où ne survivent que quelques arbres torturés par l’élagage et quelques pigeons voués au gazage par des élus locaux, au nom de l’hygiène publique.
Dès qu’il se retrouve en forêt, l’homme d’aujourd’hui éprouve une appréhension irrationnelle, faite de l’absence d’accoutumance au silence, de préjugés obscurantistes sur les dangers d’une faune fantasmée.
Nous faisons figure d’espèce en voie de disparition, nous qui vivons quotidiennement en milieu boisé, dans le silence des hommes et les chants de la nature.
Nous savons, pour le fréquenter à domicile, que le sanglier n’agresse pas, pour peu qu’on ne le blesse pas, que la chouette ne porte pas malheur et que les renards ne se jettent pas sur les passants.
Nos contemporains ignorent la nature et les ruraux, version exploitants, ne la connaissent pas davantage car les milieux agricoles de mono-cultures intensives sont encore plus pauvres en biodiversité que les parcs urbains.
Cette rupture entre l’humain et le reste du vivant comporte, parfois, des aspects positifs.
L’homme d’hier n’était guère un ami des bêtes et des zones humides :  les gamins allaient dénicher les pies et leurs pères asséchaient les marais et déboisaient inconsidérément.
Hier n’était point un âge d’or et je préfère, tous comptes faits, les enfants devant des consoles électroniques qu’avec une fronde à la main.
Le nombre des chiens et chats et autres compagnons d’appartements révèlent que l’humain urbanisé éprouve une inconsciente nostalgie de la nature.
L’animal familier rappelle  que la vie sauvage existait et que l’espèce auto-proclamée supérieure ne saurait vivre seule, sans éprouver une vertigineuse solitude.
Bien sûr, nous souhaiterions que l’homme aime la nature et la connaissant veuille la sauver.
Mais, à défaut, demandons-lui de la laisser tranquille, de ne plus l’anéantir.
L’homme oublie bien vite que le plus grand danger, le premier tueur d’hommes, le plus efficace vecteur de germes pathogènes n’est, ni le loup, ni le rat, ni le pigeon des villes, mais l’homme.
La peur de la nature s’apparente aux phobies, manifestations psychopathiques faisant redouter des objets ou situations nullement périlleuses mais perçues par l’esprit humain comme à éviter.
Ce n’est point à dire que la nature est bonne, qu’elle guérit tous les maux, que sa fréquentation préserve la santé physique et psychique, que tout ce qui est naturel dispense bienfait et satisfaction.
La nature doit être sauvée pour elle-même, parce que la vie vaut dans sa luxuriante diversité et non pour son utilité, son profit, sa rentabilité.
L’homme, n’en déplaise à sa mégalomanie phylogénétique, est un être biologique, produit de l’évolution et c’est orgueil infondé que distinguer nature et culture.
La culture n’est jamais que le fruit de la nature de l’animal humain.
Les réalisations les plus ingénieuses, les techniques les plus élaborées résultent du travail du cerveau humain sur des éléments fondamentaux. Il n’y a là rien de « surnaturel ».
Quand bien même l’humain accéderait au « grand secret », qu’il pourrait écrire comme l’incitait François CAVANNA « Stop crève », il ne ferait jamais qu’accomplir ce que sa nature lui permet.
En cela, je n’oppose pas science et nature.
Ce qui fait problème ne tient pas à la maîtrise que l’homme acquiert, mais à l’usage qu’il fait de cette maîtrise.
Lorsqu’il œuvre contre la souffrance et la mort, l’homme marche dans la voie de son hominisation.
Lorsqu’il emploie ses capacités à détruire, il devient nuisible.
Le défi est purement éthique et commande le devenir de l’aventure de la vie sur terre.
Impasse évolutive ou couronnement de la lutte pour la vie dans l’espèce et dans l’individu, l’humain aura à choisir, ici encore, entre la biophilie ou la thanatophilie.
A observer ce qui se passe présentement, j’avoue que l’issue favorable demeure bien étroite.

Gérard CHAROLLOIS


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