Pouvoir et abus

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Un ami du président de la république, employé par l’Élysée, exerça des violences physiques sur une femme et un jeune homme, le 1er mai 2018 à PARIS, lors d’une manifestation.
Le responsable de la sécurité de l’ancien candidat à la présidence lors de sa campagne électorale était porteur d’un brassard de police, en présence de fonctionnaires de police qui s’abstinrent de toute intervention, de toute verbalisation à son encontre, alors qu’il commettait des délits en présence de ces forces de l’ordre.
Informés, le gouvernement et la présidence firent silence sur cette barbouzerie, révélée trois mois plus tard par ce qui reste de presse libre et indépendante des forces d’argent.
Par-delà les faits délictueux imputables à ce proche du président et ceux, plus graves encore, imputables à la hiérarchie policière qui couvrit des infractions que l’article 40 du code de procédure pénale l’enjoignait de transmettre au procureur de la république, il convient de s’interroger sur ce qu’est le Pouvoir conféré à des hommes sur une société.
Les analystes bruissent de l’écume des faits et contemplent la partie émergée des icebergs sans aller à la racine des défis que révèle cette écume à la surface des abysses.
Les humains étant ce qu’ils sont, il faut observer que tout pouvoir tend à l’abus de pouvoir et ce d’autant que les petits génies, premiers de cordées qui accèdent au pouvoir suprême, sont de grands malades affligés d’un narcissisme hautement pathologique.
Il est trop facile et vain d’incriminer tel ou tel individu, alors que ces faits révélés et ceux qui ne le seront jamais découlent automatiquement du mécanisme institutionnel.
Ce n’est pas pour rien que MONTESQUIEU énonça, il y a plus de trois cents ans, une théorie de séparation des pouvoirs, à défaut de parvenir à supprimer le Pouvoir des hommes sur les hommes.
Une concentration du Pouvoir génère immanquablement des abus, des délits, voire des crimes d’Etat, des détournements de fonds, des usurpations de fonction, des courtisaneries serviles, des petits services entre amis, des coups douteux, des affaires opaques, des dérives népotiques, des collusions et compromissions, des échanges de bons procédés entre copains et coquins.
Ces faits seront vrais de tous temps et sous tous les cieux, car telle est la nature humaine.
Seule une organisation des pouvoirs publics offrira quelques garanties à l’encontre de ces abus de pouvoir.
Or, la constitution française actuelle, obsédée par la nécessité de dégager un pouvoir stable et fort en rupture avec les faiblesses prétendues du gouvernement d’assemblées, aggrave les dérives monarchiques et produit des abus qui ne connaissent plus de freins.
Bénéficiant de l’onction du suffrage universel, le président de la république devient un monarque absolu, maître de faire et défaire les carrières des ministres et des hauts fonctionnaires.
Il règne sur un Etat soumis, sur une cohorte de courtisans tenus de lui rendre hommage constamment pour acquérir ou conserver ses faveurs.
La réforme constitutionnelle qui réduisit à cinq ans le mandat présidentiel, loin de remédier à cette dérive, en a accentué le caractère autocratique. En effet, les élections législatives suivent de quelques semaines l’élection présidentielle. Les députés sont élus sous la seule couverture du nouveau président et pour lui conférer une majorité. Ils ne possèdent aucune autre légitimité que celle du monarque électif qu’ils se sont engagés à soutenir.
Le scrutin majoritaire à deux tours ajoute une prime au parti du président assuré d’avoir une assemblée docile.
En pratique, la France n’a plus de parlement digne de ce nom puisque l’assemblée nationale comporte une écrasante majorité de petits soldats du président et que les oppositions se réduisent à de la figuration, caution pseudo-démocratique.
Cette situation représente une constante mécanique liée aux institutions et non un fait purement conjoncturel tenant à la « Macronie ».
Comment, dans un tel Etat, les hommes du président ne se sentiraient-ils pas au-dessus des lois et des autres hommes ?
Ils vivent dans un monde séparé, et ce d’autant qu’à cette concentration du Pouvoir entre les mains d’un seul individu s’ajoute le rôle déterminant des oligarques de l’argent dans l’élection (pour eux la nomination) du président.
Sans le soutien financier des oligarques, sans la savante préparation de l’opinion publique par les magazines, nul ne peut être élu.
Les Français croient choisir démocratiquement un candidat, alors que celui-ci est préalablement accrédité par un petit cercle qui décide de le promouvoir dans la presse d’argent en ressassant son enfance, ses amours, les tailleurs de sa femme, les péripéties de ses enfants s’il en a ou ses origines familiales et mille historiettes dérisoires destinées à manipuler une fraction suffisante de l’opinion pour faire l’élection.
Inversement, tout candidat en rupture avec les intérêts de la finance sera subtilement discrédité par cette presse, dépeint en extrémiste irresponsable et dangereux.
Ne serait-il pas urgent d’abaisser le pouvoir monarchique, de rétablir des pouvoirs législatifs et judiciaires plus puissants, de favoriser les oppositions en créant une véritable assemblée nationale intégralement proportionnelle aux courants de pensées, supprimer l’immunité des élus, assurer un plus strict contrôle de l’argent public pour déceler et réprimer les détournements de fonds via les subventions aux secteurs marchands et les grands travaux inutiles ?
Et vive la cohabitation qui en divisant le Pouvoir en assure la juste limitation !
La réforme constitutionnelle proposée accentue le travers monarchique et sombre dans l’antiparlementarisme en réduisant le nombre des députés et en limitant la désignation proportionnelle à une part symbolique.
Ainsi, les faits confirment les appréhensions de Montesquieu : tout pouvoir tend à l’abus de pouvoir.
Le pouvoir de l’argent et ses agents actuellement aux « affaires » veulent supprimer tout contre-pouvoir.
Les syndicats sont humiliés, discrédités, perçus comme des adversaires qu’il faut vaincre en passant en force .
Le judiciaire n’est qu’une autorité tenue en suspicion et priée de demeurer silencieuse, gris muraille, réservée.
Les oppositions ne sont que des nostalgiques de STALINE ou de MUSSOLINI pour la presse d’argent, et il n’y a pas d’alternative, mais une alternance d’hommes choisis par le même cercle oligarchique.
Le peuple est atomisé, dépolitisé, résigné.
Alors, le népotisme, les barbouzeries, les captations de fonds publics par les grands intérêts très privés via les concessions de services publics, les privatisations et les subventions peuvent prospérer encore longtemps.
Le discrédit jeté par les élus sur la presse libre et indépendante, celle qui « sort les affaires », participe de cette volonté des pouvoirs de n’avoir aucun obstacle sur la voie de l’abus de pouvoir.
Aussi, tout citoyen encore éveillé doit se battre pour défendre les contre-pouvoirs : syndicats, associations, journalisme d’investigation, tous ces espaces de liberté.

Gérard CHAROLLOIS