Où est passé le progrès ?

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Avec l’affranchissement de la superstition et l’appel à la raison, l’Occident inventa le progrès, cette insurrection de l’homme face aux cruautés de son destin.
Face au drame de Lisbonne dévasté par un raz-de-marée en 1756, tous les philosophes, à l’exception peut-être de ROUSSEAU, conclurent que le sort des hommes pouvait être naturellement mauvais et qu’il fallait s’insurger contre le mal, prévoir les phénomènes, les comprendre pour les maîtriser, émanciper l’humain de son destin tragique émaillé par les maladies, les famines ou les catastrophes naturelles.
Une fièvre de recherches, d’expérimentations, d’observations objectives découla de cette aspiration à une maîtrise des périls et des douleurs.
Couplée à ces conquêtes des connaissances du monde, les humains, émancipés des superstitions, crurent à une autre jambe du progrès : celui de l’humain lui-même rendu meilleur par l’instruction et la compréhension.
Victor HUGO exprima magnifiquement sa foi dans l’amélioration de l’homme dans toute son œuvre et notamment par cette idée centrale de son roman "Claude GUEUX" : « Cette tête d’homme, éduquez-la,  élevez-la, formez-la et vous n’aurez pas à la couper ».
Ainsi, l’Occident connut le progrès, d’une part des sciences et des techniques, d’autre part des droits et de la liberté.
Et voici que l’époque subit une « crise du progrès » se traduisant non pas par un ralentissement des innovations techniques, mais par un doute, une inquiétude, parfois même un refus des contemporains confrontés à la marche du monde qui s’accélère sans offrir un horizon serein.
Tout change vite mais nul ne peut être certain que ce soit dans une heureuse direction.
C’est que le progrès a cessé d’être une émancipation et une guerre faite à la souffrance, à la maladie et aux malheurs des hommes.
Le funeste libéralisme économique a putréfié la notion.
Constatons les faits :
Chaque année, les firmes vous proposent des téléphones intelligents, des voitures, des gadgets toujours plus performants, vous proposant des applications, des fonctions merveilleuses et captivantes.
Il s’agit-là d’une donnée opportune que nous devons saluer.
Ces instruments confèrent à chaque individu un meilleur accès à la connaissance et des occasions de satisfactions qu’il faudrait être sado-masochiste pour dénoncer.
Mais le Système, tel un cycliste qui ne tient en équilibre que parce qu’il avance, doit accélérer sans cesse pour tenir.
Si l’oligarque à la tête d’une firme n’innovait pas, ne sortait pas chaque année un nouveau gadget avec un écran plus brillant, des accès inédits, il serait coulé par sa concurrence et sa firme disparaîtrait.
L’oligarque profite du système pour s’enrichir mais il en est le premier prisonnier.
Nul ne pilote plus le Système fondé sur la cupidité, la loi du profit, la quête de l’argent vite gagné au détriment de tout le reste, au besoin.
La recherche, y compris la plus scientifique, est au service de cette course au profit et les préoccupations humanistes de nos philosophes des 18ème et 19ème siècles sont oubliées.
Le progrès des connaissances ne sert plus, en premier lieu, à faire reculer la souffrance, la maladie et la mort, mais à permettre aux entreprises de spéculer et d’amasser des fortunes au bénéfice de moins de 1% de la population.
Il y a dissociation entre les conquêtes technologiques et les élévations comportementales des hommes.
La cupidité mène sa danse délétère sur la planète entière gommant les civilisations, les particularismes, les idées et les vertus.
Nos médias relatent quotidiennement les scandales financiers, les turpitudes, les délits imputés aux oligarques et à leurs commis dans la politique. Or, la vérité est pire que l’écume des affaires. Le Système est corrompu et repose sur cette injonction absolu : faire du profit.
Alors, l’intelligence des hommes se met au service de cette injonction et se détourne des buts initiaux du progrès, à savoir, améliorer la condition humaine et combattre le mal.
Le rôle des Etats devrait être la garantie de l’intérêt général et l’orientation de la recherche vers la guerre faite à la souffrance et aux malheurs. Mais les Etats sont aux mains des libéraux, donc des intérêts très privés.
Partons toujours des faits :
Le génie humain produit, pour le grand bénéfice des firmes, d’innombrables molécules chimiques destinées à détruire la biodiversité et à accroître le productivisme.
Ces molécules tuent le vivant et compromettent la santé des hommes. Plusieurs études récentes révèlent que le quotient intellectuel moyen a perdu deux points en une génération. En cause, les pesticides, les plastiques et retardateurs de flammes, substances interférant avec la fonction thyroïdienne, elle-même commandant le développement psychique.
Les méfaits des perturbateurs endocriniens sont connus mais les intérêts industriels sont tellement puissants que les Etats renoncent à légiférer et tergiversent.
Or, la chimie pourrait être utile à l’homme en lui offrant des armes contre la maladie. Elle est détournée de ce but louable par l’accaparement par les entreprises privées soucieuses de leur seul profit immédiat.
Est-ce qu’à terme, en sa course incontrôlable, le Système libéral ne détruira-t-il pas la vie ?
Pour la secte sévissant partout à ce jour, « il n’y a pas d’alternative ».
Alors, le vrai progrès est en panne et si la médecine gagne quelques batailles, elle perdra encore longtemps la guerre, la pauvreté sévira "parce que les pauvres ne se responsabilisent pas", les humains auront besoin de se droguer pour tenir debout dans un monde dépourvu de sens et la terre deviendra une vaste décharge empoisonnée et hostile aux formes de vies qu’elle avait enfantées.
Ami HUGO, reviens : ils ont perdu la tête.


Gérard CHAROLLOIS