Deux défis : intelligence artificielle et mort de la biodiversité

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Trop de paramètres peuvent tout changer pour que scientifiques, philosophes, essayistes puissent dessiner le monde de demain.
Beaucoup de grands penseurs ont joué, dans le passé, aux prophètes d’une société nouvelle et se sont trompés.  On ne se risquera pas à ce jeu tentant mais vain.
La seule certitude, le seul fait acquis tient à ce que les changements s’accélèrent et qu’en une génération, le contexte de la vie humaine se transforme davantage qu’il ne le fit durant des millénaires.
On appela longtemps « progrès » la marche des connaissances et des techniques avec la maîtrise qu’elles conféraient sur l’environnement humain.
L’Occident connut, dès le XVIIème siècle, une phase enthousiaste de ces avancées qui faisaient reculer l’ignorance, les ténèbres et qui conféraient à l’homme de meilleurs conditions matérielles de vie.
Présentement, l’explosion des innovations génèrent inquiétudes et espérances.
On parle « d’homme augmenté » et cela dérange ceux qui ont le culte de l’humain d’aujourd’hui qui se prend pour un dieu, alors qu’il est faible, vulnérable, éphémère face au temps qui l’use, aux maladies qui l’assaillent, aux chagrins qui l’accablent, aux frustrations, aux échecs le conduisant souvent au sentiment SHOPENAURIEN selon lequel « la vie est un pendule qui oscille de l’insatisfaction à l’ennui ».
Tous les découvreurs, les faiseurs de systèmes du passé étaient des insatisfaits lorsqu’ils contemplaient la condition humaine de leur temps.
Les actuels transhumanistes sont leurs héritiers qui poursuivent la même conquête avec une simple différence de degré.
Si la science, la vraie, celle qui sert le vivant et non le profit des firmes, permettait demain d’ajouter des années à la vie et de la vie aux années, il n’y aurait aucune raison de s’alarmer.
L’humain est décevant, si souvent, lorsqu’il se comporte en artisan de malheur.
Pourquoi s’émouvoir de le voir « augmenter » en bien-être, en intelligence, en bonheur, en art de vivre et de laisser vivre ?
D’ailleurs, tous les mythes, tous les monothéismes ne promettent-ils pas la même chose que le transhumanisme, à savoir, la vie éternelle, avec cette seule différence qu’ils ne peuvent pas faire l’économie du passage par la mort.
Le problème est que la formidable avancée des sciences et techniques, en particulier les perspectives révolutionnaires ouvertes par l’intelligence artificielle, pourraient déboucher sur une société clivée, à deux vitesses. D’un côté, des oligarques, détenteurs de tous les pouvoirs, capables de dialoguer et d'exploiter l’intelligence artificielle, de l’autre, la masse des humains ordinaires, réduits à l’inutilité par la société robotique.
Ce scénario est en cours de réalisation à vitesse croissante.
Dans ce scénario, les humains seraient divisés en deux classes hermétiquement séparées : celle des milliardaires, de plus en plus riches, celle des exclus, de plus en plus nivelés, avec disparition des corps intermédiaires.
Or, les milliardaires ayant « acheté » les pouvoirs politiques peuvent travailler à l’avènement de cette société clivée qui mènera à une déflagration sociale d’autant plus dommageable qu’elle sera différée par le contrôle des « cerveaux disponibles ».
Alors, l’écart entre les deux classes se creuse et s’accélère.
L’intelligence artificielle peut abolir la malédiction du travail pénible, inventer la médecine de demain fondée sur la thérapie génique, participer à l’émergence d’une société plus hédoniste, plus douce, plus généreuse, mais elle peut aussi mener à un enfer où une poignée de « maîtres du monde » réduiront en simples « ressources » les sous-hommes exclus du premier cercle.
L’appétit de profits de ces « premiers de cordées » détruit présentement la nature de manière systématique et implacable, en faisant le contraire de ce que proclament les vertueux discours en faveur de la planète, discours vite oubliés lorsqu’il s’agit de promouvoir, d’aménager, de développer, d’exploiter.
La mort de la nature n’est pas une vue de l’esprit, un souci de savant spécialisé. C’est un fait grave et une faute contre le vivant.
Alors, le monde de demain, celui dans lequel nous ne serons plus, sera-t-il celui des humains augmentés, des humains plus heureux, débarrassés des angoisses et de bien des souffrances ou une société inique, violente, fondée sur la compétition de tous contre tous.
Le péril de clivage radical de la société est en cours. C’est notre présent.
Non, les robots ne deviendront jamais les maîtres du monde, se substituant aux humains, comme dans les romans ou films de science-fiction, mais ils posent un défi à l’humanité tenue de repenser son rapport au travail, à la nature, à la répartition des richesses produites.
Sans une rupture du modèle actuel, l’humanité court à l’abîme.
Une innovation, un savoir-faire, une technologie n’ont de valeur que par ce que l’on en fait.
En maîtrisant le feu, l’homme chauffa sa demeure, mais inventa le bûcher, en concevant l’outil, il put travailler la matière mais conçut l’arme qui tue.
Que feront les hommes de leurs prodigieuses réalisations à venir ?
Ici, je vous abandonne, amis lecteurs, à votre humeur optimiste ou désabusée.

Gérard CHAROLLOIS